Coup de hache sur une mer gelée

 

« Un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous », écrivait Kafka en 1904, dans une lettre à Oskar Pollak, le 27 janvier…

 

Cette « mer gelée en nous » n’est-elle pas comme une banquise dont les bourrelets, les rides, les creux et les bosses à perte de vue, sont autant de repères et de marques pour ces « aventuriers » de la vie que nous sommes, alors que nous venons tout juste de franchir l’une de ces « frontières » de l’Histoire, sans doute la plus déterminante mais aussi la plus incertaine ; et de pénétrer en un « territoire » qui pourrait être comme les « territoires » précédents, un immense palier, une sorte de plateau au bout duquel il n’y pas d’horizon discernable ?

Et ne traversons nous pas, en nos existences qui passent comme l’éclair de l’orage ou comme une « éternité » entre deux portes, de ces « territoires paliers » qui sont autant de « banquises »toutes tracées de nos chemins ?

A la surface de cette « mer gelée en nous », et même, je crois, jusqu’à une certaine profondeur, s’y répète, s’y perpétue l’immobilisme des habitudes, une certaine forme de renoncement ou d’indifférence, ou, ce qui n’est guère mieux, une forme d’espérance « angélique » et d’une consistance purement émotionnelle ; et, ce qui est sans doute pire encore, un ensemble de certitudes trop vite acquises dont on se fait un « rempart sécuritaire » qui, de toute évidence, ne peut résister aux  grands blizzards que les évènements autour de nous ont soulevés…

Il est assurément très peu de ces livres ou de ces écrits, de nos jours comme par le passé, qui sont cette « hache fendant la mer gelée »… Et quand bien même voleraient en éclats tous ces repères, toutes ces habitudes, tout ce renoncement, toutes ces indifférences, tous ces silences, ces « shizophrénies intellectuelles », ces certitudes, ces angélismes et ces hypocrisies… N’en viendrait-il pas d’autres, de ces bourrelets, de ces rides, de ces creux et de ces bosses d'une mer gelée à perte de vue ?

« Un livre qui fend la mer gelée » est un livre qui dérange parce qu’il casse ce sur quoi l’on marche… Et c’est fou ce que l’on s’attache à ce qui porte nos pas !

 

 

 

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