Visages, douzième partie

 

Un océan pétrifié, de roche et de terre

 

Il nous arrivait occasionnellement le dimanche jour des sorties, de monter à Chréa. Nous ne pouvions nous y rendre qu'en convoi militaire, partant de Blida le matin à 8 heures et revenant à 18 heures.

Ces matins là nous prenions place dans la file d'attente et attendions les instructions des militaires. L'on nous plaçait par groupes de cinq voitures l'une derrière l'autre entre deux automitrailleuses. En tête du convoi avançaient le camion de troupes et les véhicules blindés, un tank suivait à l'arrière du convoi.

Il nous fallait une heure environ pour parcourir les 18 kilomètres entre la sortie de Blida et l'entrée du village de Chréa, par cette route étroite, sinueuse, avec ses virages en épingles à cheveux et une dénivellation variant de 70 à 100 mètres par kilomètre.

La montée s'effectuait donc à allure de tortue et l'on avait le temps d'admirer le paysage : les prés et les champs de culture fortement inclinés à basse altitude puis les ravins, les pentes boisées, la végétation luxuriante un peu plus haut et enfin la magnifique forêt de cèdres avant l'arrivée à Chréa.

La plupart des maisons dans ce village de montagne étaient construites en bois, les rues étaient en terre battue garnie de cailloux et d'éclats de roche. Dès l'entrée du village s'ouvraient aux « touristes du dimanche » les principales boutiques, les bars et les restaurants pour la plupart d'entre eux tenus par des Algériens ou des Israélites. Autour du village, orientés vers la route de Blida l'on avait aménagé quelques espaces de loisirs pour les jeunes sur de grands prés verdoyants ainsi que des emplacements de pique nique.

De l'autre côté du village vers le Sud, commençait une forêt difficilement pénétrable sillonnée de rares et incertains chemins de promenade et lorsque par un sentier plus élargi l'on parvenait à traverser cette forêt et à en atteindre la bordure, depuis un promontoire constitué d'une arête rocheuse l'on apercevait toute la chaîne de l'Atlas d'Est en Ouest puis vers le sud notre regard se perdait jusqu'aux confins des hauts plateaux du Moyen Atlas... Plus loin encore nous distinguions noyée dans une brume de lumière, toute une succession de barrières rocheuses brunes ou ocre enchevêtrées, hérissées de pics et d'aiguilles ou de dômes tronqués. L'on aurait dit un océan qui d'un seul coup au plus fort de ses convulsions et de ses transports de houle dans le déchaînement d'un ouragan... Ou lors d'une bataille navale de titans, se serait solidifié, pétrifié, cristallisé en vagues de terre et de roche afin de défier l'univers tout entier. Tout cela dans la luminosité insoutenable d'un ciel totalement pur et bleu tel qu'il n'en existe qu'en ces contrées, une luminosité insoutenable pour des regards habitués plutôt à des horizons européens...

Au printemps la fraîcheur de l'air était encore perceptible même durant l'après midi et par endroits apparaissaient agglutinés aux revers des talus et des fossés ou sur les bords des chemins, des plaques de neige durcie que l'on s'empressait de pétrir entre les doigts. Des promontoires avaient été aménagés sur les espaces de loisirs et entre les cèdres dans des trouées assez larges l'on jouissait de l'un des plus magnifiques spectacles offert par la nature. Comme du haut d'une falaise de 1500 mètres de hauteur, bien mieux encore que depuis les hublots d'un avion « Constellation » traversant l'Espagne ou l'Italie, l'on embrassait du regard non seulement la plaine de la Mitidja qui paraissait toute petite mais aussi une bonne partie des régions de l'ouest vers l'Ouarsenis, les monts de Cherchell, les collines du Sahel, la lointaine Alger la blanche et ses faublourgs d'Hydra, d'El Biar et de la Bouzaréah ; et vers l'est les monts de Kabylie... Tout en bas la ville de Blida n'était plus qu'une tache couleur de brique, les rues et les routes devenaient des fils à coudre, les bâtiments des boîtes d'allumettes.

De là haut à Chréa l'on ne reconnaissait ni le lycée Duveyrier ni le « bordel »...

Une fois d'ailleurs en observant Blida depuis si haut, Mireille se trouvant avec nous je lui dis « Tu vois Mireille, on ne reconnaît pas le lycée ni le bordel »... Et nous avons éclaté de rire!

En ce lieu pour la « vue » c'était sans comparaison possible avec ce que nous apercevions depuis la coursive du 9ème étage de notre immeuble.

 

 

UNE FEMME CHIC

 

     Le trajet du matin de Blida à Chréa nous émerveillait et nous émouvait toujours, même accompagnés d'automitrailleuses et de camions de troupe, échelonnés en files de cinq voitures dans le convoi militaire dont nous finissions par ne plus remarquer la présence.

Durant cette heure exceptionnelle nous étions tous saisis d'admiration à la vue de ce paysage de montagne, de ces forêts, et nous ressentions cet enthousiasme et cette joie de vivre, de rire et de partager ; oubliant les dangers, les situations dramatiques auxquelles nous étions confrontés, et les vicissitudes du quotidien... Ce qui était coutumier en Algérie.

Mais lors du trajet de retour il n'en était pas de même. La descente nous paraissait moins drôle! Cela commençait par un bourdonnement dans les oreilles, puis venait une sensation d'ivresse mélancolique. Déjà s'ouvrait dans nos esprits la perspective de la « chienlit » qui nous attendait au bureau, au lycée, à l'usine, avec les mêmes problèmes ingérables et la sourde, lancinante inquiétude que nous ressentions dans une atmosphère d' insécurité permanente... Quoique par bonheur cependant, surgissaient à toute heure du jour, retrouvailles entre copains, amis ou voisins, la petite anisette ou le « petit noir » bus ensemble. D'un tonitruant « la putain d'sa mère », l'on pouvait « tout balayer » et se payer « une bonne tranche de rigolade »...

Dans les périlleux lacets de la descente, la nuit tombait rapidement et l'on entrait dans Blida à la lumière des énormes phares des camions militaires.

      Dans l'appartement situé tout juste à côté du nôtre, le 56, dont la porte d'entrée donnait sur le milieu de la coursive, demeurait une femme seule, madame Devémy, avec son fils Jean Jacques. Leur appartement n'était qu'un « deux pièces cuisine ».

Le premier contact que nous eûmes, mes parents et moi avec cette femme fut très agréable. Madame Devémy avait emménagé en même temps que nous, et dans la « candeur » si je puis dire de mes douze ans à l'époque, je fus ébloui par sa féminité, son chic, son visage typé... Nous ne l'aperçûmes jamais, au matin, comme certaines femmes de l'immeuble, en peignoir ou en négligé.

A travers la cloison qui nous séparait, entre la salle à manger de notre appartement qui me servait aussi de chambre, et la salle de séjour de madame Devémy, j'écoutais ravi, le claquement délicat de ses chaussures à hauts talons. Cela résonnait en notes cristallines et je m'endormais parfois le soir avec cette agréable musique dans les oreilles, une musique dont je ne me lassais jamais... Ma mère quant à elle, chaussait plutôt des « mules » à l'intérieur de l'appartement.

Un jour je fis part à Mireille de ce que je ressentais à la vue de cette femme et je la décrivis telle que je la percevais, telle que je l'imaginais dans son intimité. Mireille et moi nous nous livrions à toutes sortes de suppositions : où elle travaillait, pour quelle raison vivait-elle seule, avait-elle été mariée, son mari était-il mort ou avait-il disparu... ou encore : comment une femme de cette « classe » était-elle venue ici dans cet immeuble si « moche »? Et Mireille convenait de la distinction, de l'élégance de cette femme, et la trouvait « secrète »...

Un autre jour, Mireille me proposa de « passer à l'action »... Nous avions remarqué que, tous les après-midi vers la même heure, elle revenait de Blida dans sa voiture, une « P 60 ». Nous nous postâmes à l'affût sur le bord de la route, comme si de rien n'était, pour l'attendre. Mireille avait déclaré : « on lui racontera qu'on vient à pied du centre ville pour revenir chez nous. Tu verras, Guy, lorsqu'elle nous reconnaitra, elle s'arrêtera et nous chargera. Tu monteras devant à côté d'elle ».

Nous prîmes la peine de nous rendre assez loin de Montpensier jusqu'au niveau d'une orangeraie située au delà de la cité militaire, et nous attendîmes, feignant de marcher.

La « P 60 » beige et noire avec ses pare – chocs chromés fit son apparition à vitesse modérée puis ralentit ; un visage tout sourire et tout rayonnant se tourna vers nous, car madame Devémy nous reconnut aussitôt et abaissa la vitre de la portière côté passager, se pencha légèrement et enfin s'arrêta juste à notre hauteur...

Visiblement elle sortait de chez le coiffeur et je la pris de son plus agréable profil jusqu'au fond de mes yeux... elle était d'un chic!

Bien entendu selon le scénario prévu par Mireille, je montai devant à son côté après avoir abaissé le siège afin de permettre à Mireille de prendre place sur la banquette arrière, cette voiture n'ayant que deux portières.

Le parfum de madame Devémy était fin et délicat, son visage naturel et sans maquillage, ses yeux piquaient doucement comme le feu de deux petites étoiles proches, je me sentais tout embrassé de son regard, jusque dans mes os. Elle était habillée d'une robe à carreaux noirs et blancs très seyante et d'un tissu que l'on aurait aimé toucher, et de ses épaules lui tombait une veste « trois quarts » d'excellente coupe. Saisi de ravissement je jetai un coup d'oeil discret sur ses jambes nues et lisses, sur le galbe parfait de ses mollets, la finesse de ses chevilles et de ses pieds serrés dans des chaussures à talons aiguille, des chaussures sans bride ce qui accentuait la ligne si délicate du pied.

Assis à son côté j'étais si saisi de bien être, d'ivresse explosive, que je me sentis comme « piqué à l'héroïne », déconnecté de ce qui me reliait au temps et à l'espace.

Pour rien au monde je n'aurais alors voulu donner l'impression à cette femme d'un garçon « qui ne savait plus où se mettre ». Je pris une position avantageuse, les jambes un peu allongées, le dos bien appuyé et bien droit sur le dossier du siège, la tête haute et je fis mon « regard de mille étoiles » accompagné du sourire « qui allait avec »... J'essayai d'être drôle, disant que nous nous étions perdus bêtement ; je me passai une main dans les cheveux pour aplatir un épi frondeur, je m'aspirai l'intérieur de la bouche – mais aucune crainte de ce côté là, j'avais mâché tout l'après midi trois ou quatre tablettes de chewing gum à la menthe forte- puis j'ai osé lui dire que les chaussures à talons aiguille pour une femme, c'était plus chic sans bride, et que les chaussures avec bride convenaient mieux à mon sens aux femmes très grandes. Elle parut charmée de ma remarque et me dit que j'étais un « connaisseur »...

Mireille, assise sur la banquette arrière, n'en pouvait plus de se retenir de rire.

Nous ne renouvelâmes pas cette « expérience » car il y eut bientôt un autre épisode heureux à cette histoire...

Durant les vacances scolaires de février alors que nous jouissions d'un temps bien ensoleillé et d'une température presque estivale ; une après midi Mireille et moi nous fûmes conviés par madame Devémy à une petite réception intime et conviviale, sans doute à l'occasion de l'anniversaire de son fils Jean Jacques qui était à peu près du même âge que nous. Elle avait vu grand : un immense et profond saladier empli de beignets de carnaval, trois douzaines de crêpes et un grand pot de chocolat au lait. Madame Devémy était désolée parce que les jeunes frères de Mireille, Nano et Richard n'avaient pu venir, tous deux atteints de varicelle, couverts de boutons rouges et « cloués » au lit avec une forte fièvre.

La cuisine dans l'appartement de madame Devémy était identique en dimensions et agencement à celle de tous les autres appartements de l'immeuble. Et nettement moins encombrée que la cuisine de madame Champion, car tout était là soigneusement rangé, placé en ordre, arrangé avec goût, et les murs décorés de grandes photographies de paysages pittoresques. Je suivis avec intérêt, curiosité et enchantement les allées et venues de cette femme si élégante et si agréable qui, pour la circonstance, avait passé sur sa robe un fort joli tablier de cuisine lui allant à ravir. Une hotte au dessus de la cuisinière à gaz, aspirait les odeurs de telle sorte que nous ne fûmes point incommodés par les buées de friture.

Dans le temps de la conversation que nous eûmes ensemble, npus évoquâmes la beauté et la magie de Chréa où madame Devémy s'était aussi rendue avec son fils, nous échangions nos impressions sur la vue depuis là haut, sur ces paysages grandioses et pour ma part je m'enhardis dans la comparaison que je fis des chaînes et des hauts plateaux de l'Atlas avec un « océan de terre et de roches pétrifié »... Puis nous parlâmes de l'enfance de Mireille à Tunis, du lycée Duveyrier où l'on s'ennuyait à mort. Je compris que madame Devémy avait nettement perçu notre sensibilité, l'esprit qui nous animait. Aussi avait-elle eu par moments à notre égard, des gestes très naturels et très affectueux, ce qui avait encore accentué le climat de détente, amical et si agréable de cette réunion. Elle nous regardait et nous écoutait comme si nous étions ses enfants... Mais nous sentions bien cependant, que « quelquechose de grave » avait du se passer dans sa vie, à cause de l'émotion qu'elle laissait paraître dans sa gentillesse à notre égard.

LE CURE DE MONTPENSIER

Je m'entendais très bien avec Jean Jacques, le fils de madame Devémy. Ce garçon avait un an de moins que moi, mais la maturité d'un jeune homme de seize ans et presque la stature, car il était tout en muscles, de taille moyenne et trapu.

Il ne se mêlait que rarement aux bandes de jeunes du quartier, sortait peu de chez lui et d'ailleurs Mireille et moi le rencontrions occasionnellement.

Lorsqu'il se trouvait pris à partie dans une altercation avec d'autres jeunes de son âge, il ne cherc hait pas à relever des défis, attendait que « cela se passe » tout simplement. Cependant il avait à coeur de défendre ses amis, n'hésitant alors pas à intervenir directement avec une certaine autorité et de pertinentes réflexions.

Un jour il intervint dans une bagarre en laquelle j'étais mêlé et dans une position peu avantageuse. Il avait pris mon parti et empêché que la situation ne dégénère. Après l'incident il m'avait déclaré qu'il me considérait comme son meilleur copain.

En hiver ou plus précisément dans les mois de décembre et de janvier, Mireille et moi nous nous rendions parfois le jeudi ou le dimanche après midi, au foyer des jeunes du village de Montpensier, au cinéma du curé où nous voyions sur grand écran en cinémascope quelques productions Hollywoodiennes des années 50 à « grand spectacle », de séries comédie, aventures ou drames et énigmes, en noir et blanc ou « technicolor »... Nous y amenions avec nous, avec l'autorisation de sa mère, Jean Jacques ainsi que d'autres garçons et filles de l'immeuble accompagnés parfois de leurs parents. Nous étions pour la plupart d'entre nous, assez turbulents et chahuteurs, nous bombardant par exemple durant l'entracte de boulettes de papier ou de grains de riz soufflés et projetés avec des corps de stylo bille. Après le film nous jouions au flipper avec des pièces de 20 francs (anciens), aux dames, dominos ou échecs.

Le curé, un homme d'une cinquantaine d'années, une figure emblématique assez originale et médiatique, de grande stature, à la voix de tonnerre, autoritaire mais « bon enfant » en même temps , présidait à toutes les activités de loisirs des jeunes de la cité.

Et ce curé là, nous le trouvions si percutant et si réaliste dans ses sermons et dans ses discussions philosophiques, qu'il nous arrivait même à la grande surprise de nos parents « athées », d'assister à la messe dominicale. Bien sûr nous ne nous livrions jamais à toutes ces simagrées, génuflexions et signe de croix, comme certains paroissiens dévots et fidèles qui eux, ne semblaient guère touchés par le sens du message, un sens profond et émouvant, d'une grande vérité...

Assurément ce curé était un brave homme! Courageux en ces temps de troubles et de combats, de passions exacerbées et de racisme ; il osait dire ce qu'il pensait et qui n'était pas dans l'esprit des gens en général. Avec lui l'on pouvait parler de tout, et dans son église comme dans le local du foyer des jeunes, il accueillait sans distinction de croyance ou d'origine, tous les jeunes, toutes les personnes venant à l'occasion. Il ne faisait jamais de différence entre un athée et un croyant, un chrétien, un musulman ou un israélite, n'accordait guère d'importance au cérémonial. Aussi dans sa petite église de village, une bâtisse simple et d'architecture moderne, n'y avait-il que quelques vitraux et ornements sommaires ; un autel en pierre taillée non polie, des bancs sans dossier et un sol de ciment rugueux.

Un dimanche, je me souviens, après un terrible attentat qui avait eu lieu à Boufarik – l'explosion d'un vélo bourré de dynamite près de la terrasse d'un café, ayant fait 14 morts et 60 blessés – alors que l'église était comble et que des familles de victimes se trouvaient là, unies dans la douleur et dans le deuil ; le curé avait déclaré : « Mes enfants »... (il ne disait jamais « mes frères ») je ne vous demande pas de pardonner car je sais que cela ne vous est pas possible. Je vous demande seulement de vous aimer et de vous soutenir entre vous, je vous demande aussi de ne pas avoir de haine dans votre coeur. Dieu n'a jamais demandé à l'homme de faire quelque chose qui ne soit pas à sa portée selon sa capacité et sa volonté à l'accomplir »...

LES IMMENSES MARCHES DE L'HISTOIRE, CREUSEES DE FOSSES...

Madame Champion avait été dans son enfance, élevée chrétiennement, et même si elle ne fréquentait plus l'église, elle avait tout de même envoyé sa fille au catéchisme.

Pour ma part je n'avais jamais reçu d'éducation religieuse, ayant été élevé dans un milieu laïque. Je n'avais donc à l'âge de douze ans, qu'une très vague idée de Dieu et de la religion. Mais je connaissais la diversité des religions et savais que dans le monde entier les gens croyaient soit en un être supérieur, un Dieu unique ou en plusieurs divinités.

Ce qui me choquait à la lecture des livres d'histoire, était l'interminable succession de toutes ces guerres de religion, avec le massacre de la Saint Barthélémy par exemple, ou l'élimination des Juifs par les nazis, ces luttes sanglantes des Chrétiens ou des Musulmans entre eux, ou encore l'inquisition avec ses horribles bûchers et instruments de torture...

Je ne comprenais pas non plus que les Blancs de l'Europe contemporaine depuis le 15ème siècle, et leurs rois, princes, seigneurs et gouverneurs « très chrétiens » avec la complicité ou l'appui de la « sainte église catholique et apostolique romaine » envoyaient des armées coloniales sur les autres continents et cherchaient par la force, la violence, la persuasion, à convertir à la foi Chrétienne des gens qui selon eux étaient des sauvages, des ignorants et des barbares. Pour l'Africain, le Mexicain ou l'Indonésien en ces temps de colonisation, de brutalité et de méconnaissance complète des civilisations étrangères ; le Blanc avait une peau qui sentait la viande pourrie, et une haleine pestilentielle à cause de ce dont il se nourrissait en le cuisinant à sa manière.

Aussi, « religion » était pour moi signe d'abomination et il m'arrivait de pleurer en pensant à tous ces peuples d'Amérique qui depuis des siècles selon une légende, attendaient le Dieu blanc barbu venu de l'autre côté de la « grande eau ».

Et tout cela un jour j'en parlai au curé de Montpensier parce qu'il était gentil et ne se fâchait jamais quand on lui disait « Dieu est un salaud ». Alors il m'expliquait que Dieu n'était pas du tout responsable de toutes ces abominations, de cette haine, de ce racisme et de cette violence ou de cette injustice du monde, et qu'en réalité Dieu aimait tellement les hommes qu'il leur avait donné le libre arbitre c'est à dire la possibilité de choisir eux-mêmes la voie qu'ils voulaient suivre, d'être responsables de leurs choix et d'en connaître les conséquences non seulement dans leur vie mais aussi dans la vie de leurs descendants. Il me dit « Y-a-t-il une meilleure preuve d'amour, d'un père, que celle qui consiste à laisser une telle liberté à ses enfants en prenant ainsi le risque de les perdre? »

Et puis il me raconta ce qui, selon les écritures, s'était passé dans le ciel, à l'origine, entre Dieu et un ange qui s'appelait Lucifer : ce Lucifer était comme Dieu lui-même, un « ange de lumière et de vérité » qui lui, ne voulait pas que Dieu donne à l'homme le libre arbitre car alors ce serait le chaos et un énorme gâchis. Mais Dieu a décidé de donner le libre arbitre à l'homme, et Lucifer est entré en opposition et en révolte contre Dieu, avec toute son intelligence et sa lumière, ses immenses connaissances utilisées désormais pour séduire l'homme et lui prouver que son « plan » est le meilleur, le seul, l'unique... « Sans le libre arbitre » poursuivit le curé de Montpensier, il n'y a pas de progrès, pas d'évolution, pas d'avenir. Dieu sait que l'expérience de la liberté est difficile, si difficile qu'à certains moments de l'histoire des civilisations, il vient un grand péril pour l'homme et tout ce qui vit sur la Terre. Mais le progrès, ce qui peut venir et se révéler meilleur, n'est possible qu'à ce prix là.

Vu sous cet angle là, avec cette notion de responsabilité et de libre choix, cela « cadrait » mieux avec ce que je ressentais naturellement. Cela me semblait donc plus conforme à mon entendement, à mes idées et à ma « vision du monde »...

Si je souffrais de la dureté de l'expérience et des abominations du monde, je comprenais mieux cependant pourquoi le monde était ainsi. Et dans un certain sens je rejoignais la croyance des Musulmans selon laquelle « l'enfer est déjà ici bas, dans l'expérience que nous traversons, mais par cette expérience, il sera donné à l'homme la connaissance et la révélation qui finalement sauvera l'homme ».

Je pensais également que dans toutes les religions, l'on retrouve des idées, des conceptions qui se ressemblent, et que par exemple l'on évoque l'amour, le salut, l'espérance...

Certes notre vie très limitée dans le temps, elle même inscrite telle un point minuscule dans l'immensité de l'histoire, nous donne l'impression que tout est figé dans une immobilité désespérante, que tout se suit, s'enchaîne, se renouvelle, mais ne change jamais de sens ou d'orientation, ne progresse que par petits sursauts de l'histoire très éloignés les uns des autres avec de grands fossés entre des marches aussi vastes que des plaines sibériennes. Mais je crois qu'à très long terme, il doit bien exister une sorte de ligne « ascendante » en ce qui concerne l'évolution de l'esprit humain. Une ligne cependant, très accidentée, très irrégulière et discontinue.

 

 

 

 


 

 

 

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Commentaires

  • Gérald Guillen
    • 1. Gérald Guillen Le 29/11/2008
    Bonjour, Que de souvenirs agréable.
    J'étais en 60-61-62 au Lycée Duveyrier et j'habiter au "9 étage" de Montpensier (prés de la route)où Canareli était mon voisin.
    Salut

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