La suite 1 des histoires yugcibiennes

 

Les cartons à dessin 

            -Aliçon !

            -Oui, tata !

            -Au lieu de passer tes journées dans tes cartons à dessin, tu ferais mieux déjà, de venir m’aider à dépouiller le lapin…

…Tiens, tu prends un couteau, tu coupes là, au milieu dans la peau ; moi je tire la veste et toi, le pantalon…

            -T’as raison, tata ! J’arrive… De toute manière je finis par tourner en rond dans tous ces cartons…

            -Si au moins t’avais fait comme Ancelin qui lui, a eu son Bac et est allé aux Beaux Arts…

            -Et oui, tata ! J’ai préféré quitter l’école et aller à l’usine d’embouteillage. Il me fallait des sous !

            Lorsque le lapin fut dépouillé, Aliçon se rendit chez son copain Ancelin…

            -T’as vu mes derniers dessins ?

            -Pas mal ! Et t’en as d’autres ?

            -Tiens, regarde celui là !

            -C’est surréaliste… Mais ça peut se comprendre…

            -On va faire un marché ! Je te donne le quart de ma vie intérieure et de mon imagination, que l’on arrange selon ta sensibilité et ton regard ; et toi en échange, tu me donnes le quart de ta culture, de ton savoir faire, de ta technique et de tout ce que tu as appris aux Beaux Arts… A condition bien sûr que le quart de tout ce que tu as appris soit à la mesure du quart de ma vie intérieure… Je t’assure Ancelin, tu serais largement gagnant dans ce marché !

            -Tiens, tu as raison Aliçon ! A nous deux, on pourrait peut-être monter une galerie ! Mais la meilleure affaire dans ce marché, c’est encore toi qui la ferait…

 

Le monde est le monde…


 

 


 

 

            « La banque est la banque, les affaires sont les affaires » déclare le petit homme gris dans « Le secret des Psychlos » [trilogie de L.Ron Hubbard « Terre, champ de bataille »]

« Le monde est le monde », déclare tout aussi laconiquement Yugcib, au début du 21éme siècle.

Et, dans une épopée de l’an 3000 tout comme en la Rome de Jules César, le monde est toujours le monde…

L’on peut rêver de tous les mondes possibles, selon tel ordre et selon telles valeurs parce que ce « monde qui est le monde », présentement, n’est pas celui qui vit en nous… Mais il n’en demeure pas moins que nous l’avons aussi en nous, ce « monde qui est le monde »…

            J’ai connu du temps de ma scolarité, quatre écoles dans le cycle primaire et deux dans le cycle secondaire. Et par analogie, je peux dire que dans ma vie, j’ai connu des univers de communication assez différents les uns des autres…

Des quatre écoles de mon enfance par exemple, c’est assurément celle d’Aurillac dans le Cantal, de mars à juin 1959, dont je conserve, et de loin, le meilleur souvenir…

Disons que dans la classe de CM2 où je me trouvais, il y avait « un certain état d’esprit », une « atmosphère », une sorte de convivialité familiale… Sans doute « monsieur Robert », l’instituteur, « y était pour quelque chose ». Et pourtant ! « Il ne payait pas de mine », monsieur Robert ! Avec sa blouse grise fripée, sa démarche humble et hésitante, ses vêtements usés… et fagoté dans sa gabardine comme un veuf qui se néglige…

Mais voilà ! Ce monsieur Robert avait une âme ! Et l’on aurait presque pu croire qu’avec lui, par ce qui émanait de lui, que le monde n’était plus tout à fait le monde… Ni l’école, l’école d’ailleurs…

Or, si le monde est le monde, l’école est aussi l’école… Comme la banque est la banque, et les affaires sont les affaires…

Nous vivions en classe, entre nous, et par la grâce de notre maître, une « démocratie participative », avec des élections, un règlement que nous établissions nous-mêmes… Et cela marchait très bien ! Nous nous étions fixé des objectifs et nous étions très exigeants quant à la qualité de nos travaux. On « notait sec » !

Il faut dire aussi que nous avions dans notre classe un « monument », en la personne de JM, un garçon trapu, costaud, toujours premier en gymnastique mais aussi dans toutes les matières : rédaction, dictée, calcul, sciences… Et qui avait lui aussi une très belle âme, une âme de poète et de penseur.

Aux élections qui avaient lieu tous les samedis, nous choisissions presque toujours JM dans les trois membres du « Comité Directeur », pour la semaine suivante.

« Le monde étant le monde, et l’école l’école » ; survenaient cependant des tensions, du fait de quelques trublions, dont en particulier le perturbateur (et cancre de la classe) JS, qui n’arrêtait pas de barbouiller ses cahiers de dessins obscènes et de dire des méchancetés ou parfois même des « vérités » assez cinglantes, dans un vocabulaire fort peu « académique »…

Lorsque ces « vérités » semaient quelque doute sur les qualités supposées de l’un d’entre nous ; il s’ensuivait un débat houleux et sans issue. Puis le calme revenait…

JM et deux ou trois autres, souvent élus au « Comité », s’exprimaient eux aussi par moments, « du fond de leurs tripes »… Mais, parce qu’ils étaient du Comité, ou que leur notoriété était grande ; il semblait établi entre nous que, venant d’eux, « cela pouvait passer »…

Par contre, lorsque JS (qui bien entendu ne faisait jamais partie du Comité) avec ses mots à lui, s’exprimait « du fond de ses tripes », infestait les WC de ses graffitis et barbouillait nos cahiers de ses caricatures grotesques ; alors nous le fustigions, nous le pourfendions et nous l’excluions de nos jeux et de nos travaux…

Vers la fin du mois de mai, nous préparâmes une fête au cours de laquelle nous comptions exposer poèmes, dessins et modelages. Parents et amis, et quelques personnages officiels de la Ville, seraient conviés à notre fête.

Un débat houleux opposa deux camps, dans la communauté que nous formions en un esprit de « démocratie participative »… Il y avait les partisans de l’exclusion de JS. « Si on le laisse faire, il va tout nous pourrir ! » disaient-ils.

Mais il y avait aussi ceux qui hésitaient parce qu’ils pensaient que JS était tout de même de la communauté, qu’il serait présent à la fête et que lui aussi, il avait bien une mère, et de surcroît, une « petite fiancée »…

JM trancha net le débat en déclarant : «  J’ai lu ses dernières pages incendiaires. Certes, c’est salement torché, et quelques uns d’entre nous en prennent « plein la patate »… Mais au-delà des mots, des accusations, de la violence des propos ; au-delà du bien ou du mal fondé de ce que notre camarade avance, il y a dans le fond même de ces pages, des réflexions profondes qui m’ont touché ; et qui à mon sens, ne peuvent être ignorées et passées sous silence. JS, voyez vous, sera toujours JS… Tout comme le monde est le monde. »

Dans certaines situations, ou devant certains comportements très « limite » l’on ne peut que se dire « le monde est le monde, il faut bien qu’il y ait un panneau avec écrit dessus : stop »

Au seuil même de ces limites là, s’ouvre alors pour celui ou celle qui se hasarde au-delà, par son regard…  Non pas vraiment ce « désert » dont le vent chargé de sable lui brûle le visage, cet inévitable désert…Mais l’Inconnu…

D’où la nécessité d’affermir son regard, dans ce moment de solitude où les autres regards ne nous suivent pas… Parce le monde est le monde…

Comment JM pouvait-il affermir son regard au seuil de cette limite au-delà de laquelle semblait s’ouvrir pour lui, un « désert » ? Un « désert » aussi inévitable qu’immédiat, que ni la reconnaissance de sa sensibilité, dont il bénéficiait auprès de ses camarades ; ni sa culture ni même sa notoriété acquise, ne pouvaient lui éviter ?

Car la manière dont JM  avait tranché le débat, surprit toute la classe, et en particulier notre maître, monsieur Robert…

Il n’était pas concevable que l’on laissât JS « pourrir la fête ».

Et c’était JM lui-même qui argumentait en ce sens, ce sens « hors du sens »… Mais JM ne savait-il pas, aussi, qu’il y avait une part d’inconnu dans sa proposition ? Un inconnu qui ne révélait rien, ni dans un sens ni dans l’autre ?

La « fête pourrie », c’est ce que révèle par avance le monde connu, le monde qui est le monde…

JM se confia auprès de son meilleur camarade, YD, celui dont il se sentait le plus proche d’esprit et de cœur.

Il lui dit « ils vont m’en vouloir ! Ils vont croire que je suis contre l’avis majoritaire de la classe, et contre le maître… Je crois qu’à un certain niveau de regard et de ressenti, en des situations relationnelles difficiles à gérer, tu ne peux que te sentir seul, lorsque tu exprimes un avis qui surprend et gêne… Et tu sens bien alors, que les regards autour de toi se détournent. »

            La fête eut lieu… JS la pourrit quelque peu, ce qui n’étonna personne, ni le maître, ni JM… Mais notre classe demeura en son esprit et en son cœur, notre classe. Et cela se sut, en ville…

Ce qui s’était passé entre nous, ce qu’en définitive la fête fut, ce qu’il ressortit du sens profond des réflexions de JS au-delà du bien ou du mal fondé des propos de ce dernier… C’était que « le monde pouvait ne pas être tout à fait le monde »…

 

LE VIEIL HOMME

 

            Ce vieil homme ressemblait à un mendiant. Mais il ne tendait jamais la main et ne demandait rien. Il n’était ni plus riche ni plus pauvre que bon nombre des habitants de son village. Il marchait tout droit sur la route, allant sans cesse de l’avant. Il voulait voir le soleil en face de lui sans se retourner mais la route qu’il suivait, filait en direction du nord… Imaginant que tous ceux, avançant comme lui tout aussi droit, recevaient la lumière du soleil dans leurs yeux ; il savait bien cependant, que chacun suivait en réalité son propre chemin… Ou quelque autre chemin qui lui avait été indiqué ou suggéré…

 

 

Le prenait-on pour un mendiant ce vieil homme fagoté comme un chemineau, que l’on s’empressait de courir vers son champ, vers sa maison, vers son ouvrage à réaliser afin d’éviter de croiser son regard… Mais de quoi semblait-il si « mendiant » ? Lui qui ne tendait jamais la main et ne demandait rien à personne ?

 

 

Ne cessant d’avancer tout droit vers le nord du pays, lorsque venait le soir, c’étaient les lumières de la nuit qui lui venaient devant ses yeux… Les lumières des étoiles, les lumières des maisons des hommes dans les villages.

 

 

Et la nuit était froide comme la glace de l’hiver à la surface des étangs quand souffle la bise. L’on s’y sentait très seul dans le milieu profond et comme prisonnier du temps de cette nuit éclairée des hommes et des étoiles.

 

 

Sous une voûte grisâtre aux fluorescences électriques, dans la traversée de ces villages aussi urbanisés que les banlieues des grandes mégapoles, c’était le jour dans la nuit…

 

 

Un jour, il n’y eut plus ni matin, ni soir… Et toujours cette route, ces routes, ces espaces sans horizon au dessus desquels apparaissait un disque pâle et informe à travers un rideau de verre dépoli : c’était peut-être le soleil.

 

 

Alors le vieil homme, lorsque ses yeux étaient trop fatigués, marchait à côté de la route ; en bordure des champs et des jardins entre les villages urbanisés, le long des entrepôts, des hangars et des parcs à autos dans la traversée des « ZAC » et des « ZI »…

 

 

Dans les jardins, il lui arrivait de marcher sur les salades ; dans les champs il écrasait les jeunes pousses et dans les « ZAC » et les « ZI » il donnait des coups de pied dans les détritus éparpillés au sol…   

 

 

Du jour où il n’y eut plus ni matin ni soir, et encore et toujours cette route, ce soleil gommé ou ces fluorescences électriques, le vieil homme avançait mais le sens de ses pas lui paraissait absurde, irréel… Il se souvenait d’un pays où il était né et qu’il ne pouvait situer, un pays où le soleil était chaud, le ciel sans poussières, la nuit sans fils de lumières bleues ou rouges et les yeux jamais fatigués…

DROLE DE CAMPING CAR...

 

            Il était là, au beau milieu de la place du village, en attente de quelque nouveau « client », le « fourgon à viande froide »…

 

 

Et il n’avait pas l’air d’un camping-car, ce véhicule mortuaire apprêté pour conduire en sa demeure éternelle, quelque « mémé » ou « pépé » du pays…

 

 

Tiens, ça serait une idée de racheter un vieux camion des Pompes Funèbres et de le bricoler en camping-car ! Deux ouvertures rectangulaires à percer dans la tôle de chaque côté pour les fenêtres, un coup de peinture verte pour faire écolo et hop ! Basta sur la côte Méditerranéenne… Peut être pas « à fond la caisse », ni par l’autoroute mais la vitesse on s’en moque !

 

 

De toute manière en perspective de la seconde et dernière extrémité de notre vie, l’on joue perdant quoique l’on ait déjà gagné ou quoique l’on gagnera encore demain… Alors les terreurs ancestrales, les superstitions, le « bien fondé » convenu et normalisé d’une « pompe » en chic et en noir et en chêne ou en sapin… Font que nous n’osons pas imaginer quelque farce saugrenue à faire, à Madame la Mort… Et pourtant ! Un peu de sacrilège, d’ironie, d’insolence et de dérision, puisque le « rafiot » coulera, cela n’empêche pas la traversée de mauvaises mers ni l’arrivée dans le dernier port mais cela aide tant soit peu et c’est somme toute, une forme de « résistance »…

 

 

Et la « mémé » ou le « pépé » que l’on allonge dans un beau cercueil verni aux ferrures dorées, le beau caveau de famille pour lequel on se « fend » du contenu d’un livret A de la Caisse d’Epargne, la pompe dont on entoure le mort , les paroles de compassion à la sortie de l’église, les costumes sombres, le petit verre, le café et la brioche au bistrot du coin, les conversations genre « il était ceci, il était cela… » et, en garde ou tapis en silence au beau milieu de ce carnaval de gens endimanchés, dont certains feraient penser à des corbeaux ou même à des vautours, l’espérance du petit héritage qui dès le lendemain des obsèques, fera pousser des crocs à de belles bêtes humaines…

 

 

… Madame la Mort, dont le visage et la robe ne font guère bander, épargne moi je t’en prie, les signes de la Religion, la messe ou l’absoute, la pompe et le caveau de famille et les discours inutiles… Dans le jardin du Souvenir, je ne rirai plus, je ne pleurerai plus et je serai là, dans la terre, sans voir ce que devient la Terre…

   

 

 

 

Le comte de Troussalé


 


 

            Il mourut assis sur la cuvette de ses WC, le froc au bas de ses chevilles, son chapeau sur la tête, en chemise cravate et veston, le comte de Troussalé en son manoir craquelé…

 

 

Il avait brassé des millions d’euros et de dollars, réalisé de très grosses affaires, mordu les seins de ses maîtresses, joué au bridge et volé en jet privé d’une capitale à l’autre…

 

 

Au jour de sa mort sur son trône à caca, les yeux grands ouverts, abandonné de ses enfants et de sa servante, il commençait ce voyage dont jamais l’on ne revient… Il n’avait pas même pu saisir la chaînette d’alarme à proximité, pour appeler au secours, ni d’ailleurs la chaînette de la chasse d’eau…

 

 

On meurt où l’on peut, pourvu que l’on meure vite et sans souffrance et surtout sans angoisse…

 

 

De tous les continents et fuseaux horaires débarqueraient demain les petits enfants, les nièces et les neveux, pour se disputer le yacht de plaisance dont il n’était point fait mention sur le testament…

 

PETITE ARITHMETIQUE SCATOLOGIQUE

 

            4 humains font 1 kilo de caca par jour, 1 humain fait 1 litre de pipi par jour, 1 humain mâle produit 2 centilitres de sperme par jour (compte tenu du fait que les très/très jeunes et les très/très vieux ne font pas de "purée")
Il y a 6 milliards d'humains sur Terre dont la moitié sont des humains mâles...
Combien faut-il respectivement chaque jour, de camions citernes de 38 tonnes pour transporter tout le caca, tout le pipi et tout le sperme produits par les humains?
Sachant qu'un intervalle de sécurité de 50 mètres est nécessaire entre les camions et que chaque camion mesure 12 mètres, évaluez la distance en kilomètres entre le premier camion et le dernier.

Voici ma réponse :
Il faut 39473 camions de caca, 157894 camions de pipi et 1579 camions de sperme...
La distance entre le premier et le dernier camion est de 12334,6 kilomètres, soit à peu près l'équivalent du trajet Lisbonne Vladivostok...
Trouvez vous la même réponse que moi... Ou bien me suis-je "un peu planté"?

Quoiqu'il en soit, si l'on peignait en marron les camions de caca, en jaune les camions de pipi et en blanc les camions de sperme, et si un observateur (par exemple un poète ou un penseur "universel") passait une journée entière de sa vie à regarder défiler les camions depuis son jardin...
Voici quelle réflexion pourrait se faire cet observateur :
"On a fait l'Euro pour les pays de l'union Européenne, on fera peut être un jour le Parsécu pour tous les pays du monde quand il n'y aura plus ni frontières ni économies trop différentes les unes des autres... On a fait un drapeau pour chaque pays, on fera peut-être un drapeau pour la Terre et les trois couleurs de ce drapeau seront : marron/jaune/blanc...

NOTE : "Parsécu" : de "Parsec" (unité de mesure astronomique) et de "Ecu" (ancienne monnaie Européenne devenue l'euro)...

TOUTITE, LA PETITE CHIENNE DE MAURICE

 

            Ah, quels coups reçoit-elle, Toutite, la petite chienne de Maurice ! Et surtout… surtout, quels coups voit-elle tomber sur le dos de ses petits voisins Bébé, Caresse et Moustache !

 

 

Et pourtant… pourtant ! Elle l’aime bien son petit maître, Maurice !

 

 

Oh, elle n’irait tout de même pas le rejoindre dans son lit… Il aurait vite fait, le Maurice, ombrageux et broussailleux qu’il est, de la prier la Toutite, d’un coup de genou, de déguerpir illico… Alors se couchait-elle sur le tapis, en face du lit.

 

 

Toutite, la petite chienne, les coups elle connaît… Elle les voit surtout, tomber sur les petits chiens du voisin ; pour une pirouette de trop sur le paillasson de Maurice, pour une allée labourée dans le jardin de Maurice, pour le bout de caca ou la souris crevée avalés devant Maurice…

 

 

Et Maurice qui s’exclame : « Ah ce voisin ! S’il s’occupait un peu mieux de ses bêtes, s’il leur donnait à manger, ils n’iraient pas ainsi me salir mon paillasson ni courir dans mon jardin ! »

 

 

Toutite, la petite chienne de Maurice, il lui arrivait de vomir devant le paillasson, une partie de ses croquettes… Pour Bébé, pour Caresse, pour Moustache… Parce que jamais, au grand jamais, Maurice ne posait d’écuelle au dehors.

 

 

Elle eût pu se sauver, Toutite, ne plus revenir au logis… Il ne manquait pas de « bonnes maisons » dans le village !

 

 

Elle était une bonne ratière, Toutite. Et de surcroît elle n’aboyait pas inutilement. Et elle savait même faire des dessins par terre avec l’une ou l’autre de ses petites pattes. Oh, ce n’était point du « travail d’artiste » ! C’était du Toutite, tiens !

 

 

Ah, l’humble fidélité de nos animaux ! Vous leur balancez trois croquettes dans la gamelle quand bon vous semble, vous leur donnez le martinet ou vous leur criez dessus… Et ils vous aiment quand même !... A leur façon…

COLERE D'UN JEUNE HOMME

 

            Il devait être âgé d’environ vingt ans, ce jeune là… Et cela se passait dans une forêt proche de la zone suburbaine où il demeurait sans doute.

 

 

C’était au croisement de plusieurs chemins forestiers, en un lieu peu fréquenté envahi de ronces et de grands arbres tordus dont le feuillage épais, luxuriant et étouffant de moiteur, était chargé d’odeurs lourdes… Ces chemins  de terre et de cailloux s’enfonçaient sous les arbres tels de gros boyaux tourmentés, sombres, cannelés de plis de verdure et n’incitaient guère à s’y promener…

 

 

A ce croisement de chemins, il se trouvait assis à l’arrière d’une voiture en compagnie de trois autres personnes. L’une de ces personnes était âgée d’environ 50 ans, peut-être le père du jeune homme. L’autre était une femme du même âge, peut-être la mère du jeune homme. Et la troisième était une femme beaucoup plus jeune, peut-être la jeune amie de celui qui semblait être le père…

 

 

La voiture, une puissante cylindrée, était très grosse et elle avait une carrosserie massive, des roues de tracteur aux pneus très larges.

 

 

La femme qui pouvait être la mère du jeune homme ne disait rien et se tenait assise près du jeune homme : elle était bien là, mais elle avait l’air absente, comme sans existence…

 

 

La jeune femme était vraiment très jeune, coiffée court, le visage rond, un regard vif et noir, petite, un peu rondouillarde, vêtue d’un tricot léger style débardeur avec de grandes rayures en travers, et d’un pantalon moulant qui mettait en valeur un fessier plantureux. Cette jeune femme paraissait vulgaire, maquillée d’un rouge à lèvres pétant et de paillettes en becs de perroquet…

 

 

L’homme, le « père », riait très fort avec sa petite amie et tous les deux se moquaient du jeune homme, en particulier la « poulette »… Les plaisanteries étaient de très mauvais goût et heurtaient la sensibilité de l’adolescent à peine parvenu à l’âge adulte.

 

 

Brusquement la jeune femme se saisit du volant de la grosse voiture et, de seulement deux doigts de chacune de ses mains, elle le fit tourner très vite dans tous les sens… Alors la voiture tournoya, patina, fit des « têtes à queue » à n’en plus finir, tout en restant sur place. Et c’était impressionnant de voir ce lourd véhicule tourner ainsi sur lui-même à toute vitesse à la croisée des chemins, arrachant et propulsant d’énormes mottes de terre et aboyant de toute la fureur de son moteur en surchauffe.

 

 

« Fais-en autant, c’est très facile, vas-y, tu verras, avec les deux doigts là ! » s’exclama la jeune femme s’adressant à l’adolescent… Et elle força ce dernier à s’installer sur le siège avant du conducteur, lui maintenant les doigts serrés autour du volant, le moteur ronflant déjà.

 

 

Le jeune homme eut peur et ne voulut rien faire… La jeune femme insista puis se fâcha : « bougre d’imbécile ! Va, t’es pas foutu de faire bouger cette bagnole ! Pauvre con ! »

 

 

Alors le jeune homme explosa d’une colère noire, une vague de violence aussi soudaine que sauvage l’envahit d’un seul coup, il saisit la jeune femme au cou avec ses mains et serra très fort en la secouant, lui donnant des coups de genoux dans le ventre…

 

 

« Saloperie ! Tu vas me foutre la paix, oui ? Puisque c’est comme ça, je me barre, vous ne me reverrez plus… Foutez vous cela dans la tête une bonne fois pour toutes et surtout ne l’oubliez jamais : j’ai pas besoin de vous dans la vie, je peux vivre sans vous ! »…

 

 

Ces derniers mots, le jeune homme les avait criés de toutes ses forces, avec une rage démesurée d’une violence inouïe… Et il s’enfuit en courant, au milieu des bois, suivant l’un de ces chemins dont on ne savait où il pouvait mener. Et peu lui importait où il allait désormais, puisqu’il était en premier lieu libre… Libre avant d’être seul.


 

 

 


 

 


 

 



 


 

 

 

 

 

 

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