La genèse d'une écriture

 

 

J'étais, avant même de savoir lire et écrire, un enfant qui déjà, réfléchissait et observait sans cesse...

L'on disait de moi que j'étais un enfant solitaire, renfermé. Et c'est vrai que je parlais peu, m'exprimant essentiellement par des regards, des gestes, des comportements. Cependant j'avais parfois de brèves réflexions, réponses ou réparties qui surprenaient toujours, parce que inattendues, très franches et spontanées.

Je n'aimais guère les jeux bruyants, les jeux où l'on joue à plusieurs, où il faut suivre des règles précises, se conformer à un « principe », prouver que l'on peut être le meilleur, où il y a inévitablement un gagnant, un ou des perdants...

Je préférais la compagnie des petites filles que celle des garçons de mon âge.

J'adorais ma mère, je vénérais et craignais mon père ; à l'âge de trois ans j'étais amoureux de ma cousine... Sans doute parce que je n'avais pas de petite soeur : j'étais tout ravi, tout ému de son petit visage, de l'élégance de sa frêle silhouette serrée dans une robe blanche à volants qui lui seyait à merveille, de son regard affectueux et profond ; nous nous reconnaissions comme venus tous deux de la chevelure d'une étoile...

Et j'ai appris à lire et à écrire à l'âge de six ans, en classe de 12ème (l'équivalent du Cours Préparatoire) au Lycée Gambetta à Cahors. (En ce temps là, en 1954, il y avait au Lycée Gambetta, le « Petit Lycée », celui des classes primaires, et le « Grand Lycée », celui de la 6ème au Baccalauréat).

Je n'ai pas été lors de cette toute première année scolaire, un élève particulièrement doué. Combien de fois ai-je ânonné, hésité, avant de pouvoir lire d'un trait, une phrase entière d'un livre de lecture ; et combien de fois ai-je pleuré en essayant de former des « f » ou des « g » le long des lignes espacées du cahier d'écriture. Ma maman s'impatientait, mon papa tempêtait, je recommençais inlassablement et déraillait encore en dépit de mes effforts désespérés. La boucle du «f » était un rond informe, et le « g » un six à l'envers...

Enfin je sus, vers la fin de l'année. Et, très lisiblement, d'une écriture appliquée, avec ma plume « sergent major », à l'encre violette, avec « bien les pleins et les déliés », j'écrivis « hanneton » en dessous de la petite bête que je venais de faire courir sur une feuille de cerisier (j'étais bien plus fort et bien plus rapide en dessin)...

C'est seulement vers l'âge de 15 ans, que j'ai eu l'idée de composer » dans un cahier de 192 pages à petits carreaux, mon premier « grand récit »... Après avoir lu durant tout un été, trois livres de la Comtesse de Ségur, et « L'île Mystérieuse » de Jules Verne. Je donnai pour titre à cette « oeuvre » : Les Sentiers de l'Espoir ».

Bien des années plus tard, à dire vrai vers la fin du tout dernier siècle ; ayant retrouvé au fond d'un vieux carton dans le grenier de ma maison des Vosges, ce cahier, je l'ai relu... Et bien ri!

C'était si enfantin, et d'un romantisme si « petite fille » d'une écriture si embrouillée et si ampoulée, que je l'ai déchiré puis brûlé, ce cahier!

Mais c'est bien le seul écrit que dans ma vie j'ai détruit...

Je n'ai jamais aimé les rédactions que nous donnaient à faire nos maîtres de l'époque... Enfin je précise : les maîtres que j'ai eus à Cahors, puis à Tunis et enfin à Blida en Algérie.

Axées essentiellement sur des descriptions de marchés, de basse cour ou de rues commerçantes, de parties de pêche, de construction de cabanes, ou encore de Noëls ou d'étrennes ; proposant des sujets de morale mettant en valeur des émotions et des sentiments qui me semblaient certes louables mais quelque peu communs voire parfois tout à fait superficiels ou artificiels à mon sens, je ne « brillais » donc pas, en ces exercices de composition française.

En outre, lorsque ma chère maman me faisait écrire une lettre à Papy et Mamy à Rion des Landes, c'était une vraie corvée et je n'avais alors pas beaucoup d'imagination... Je « séchais » et attendait que maman « souffle »...

J'étais bien plus enclin à m'émerveiller du visage de maman, de sa gentillesse et de sa délicatesse à mon égard, de son absence totale de sévérité, de ses paroles tendres, de sa gaîté, de ses mots pour rire, de ses si ravissantes toilettes... Et du pain de pâte à modeler qu'elle ne manquait jamais de m'acheter et de placer tout au fond de son filet à provisions...

Je suis donc resté, de six à quinze ans, un enfant parlant peu, ne jouant jamais à des jeux d'équipe, n'écrivant pas encore, mais réfléchissant et observant de plus en plus...

Les très rares fois où je n'avais rien à penser, à rêver, à méditer... Par exemple dans ces affreux cabinets du fond du jardin (qui sentaient si mauvais et que Monsieur Pouzergues, l'horticulteur, venait vider tous les deux mois avec sa « pompe à merde ») je m'ennuyais à mourir... Je ne pouvais jamais demeurer cinq minutes, du matin jusqu'au soir, où même lorsque je m'éveillais dans la nuit après un rêve... ou une indigestion, sans « penser à quelque chose »...

Je sentais bien dans toutes ces rédactions que l'on nous donnait à faire en classe, que seule, la surface de la réalité des choses, des êtres, des émotions, des idées, des rêves... transparaisait. C'était comme si cette surface ou cette apparence avait, seule, « droit de cité »... Mais je percevais cependant une infinité de nuances, de couleurs, de tons... Un peu comme dans le visage et dans le regard de ma mère, de mon père, de nos amis, de mes camarades d'école au gré de leurs comportements, de leurs émotions, de leurs silences ou de leur exubérance...

Mais alors je n'avais pas les mots pour dire et encore moins écrire tout cela. Les mots n'étaient pas encore nés... Mais ils existaient : confusément en moi je le sentais.

Je m'exprimais essentiellement par des jeux de mime, des pitreries devant ou en compagnie de mes camarades d'école, en particulier lors de fêtes, de kermesses, d'anniversaires ou de ces journées du jeudi à « l'Ermitage » (une sorte de colonie de vacances où nous allions, les enfants des écoles, près de Cahors)...

Et surtout, mon activité principale était la confection de petits sujets en pâte à modeler, de personnages féminins, d'animaux, plus rarement des objets et parfois de drôles de compositions de pure fiction.

Je n'aimais guère les jeux où il fallait sans cesse courir, taper, montrer qu'on est le plus fort ; ou encore ces jeux de construction genre établi ou mécano, ou ces jeux de cartes que je trouvais assommants, ces formes à colorier, le jeu de l'oie, les jeux de dés ou de ballon, et d'une manière générale, aucun jeu où il n'y avait rien à créer soi même ou à imaginer. Dans les jeux de construction par exemple, je ne suivais jamais le modèle proposé...

Je n'ai donc vraiment écrit, dans un cahier, pour la première fois, qu'à l'âge de quinze ans, avec ces « Sentiers de l'Espoir ». Puis ce furent très vite, au Lycée en classe de 3ème, de seconde et de première, de « mémorables » et surprenantes compositions françaises... qui étaient lues en classe et parfois même présentées comme des modèles... J'en étais gêné, mais très ému et heureux. Il me semblait alors que « je faisais l'amour aux filles (et par extension à mes amis) avec mon écriture... C'est du moins ce que j'ai ressenti, surtout lorsque je lisais moi même mon texte... (J'ose faire cette confidence).

Suivirent au tout début de ma vie professionnelle, après avoir quitté le lycée, quelques années sans écriture à l'exception de l'année où je parcourus toute la France en bicyclette...

J'ai déjà dit que mes périodes sans écriture furent pour l'essentiel des périodes en lesquelles je sentais que le « vécu », dans toute son intensité émotionnelle et relationnelle, pouvait remplacer l'écriture... Que ce « vécu » était en fait, l'écriture même.

Mais aujourd'hui assurément, il y a bien une confusion, une collusion même, entre le vécu et l'écriture.

Alors je ne cesse d'écrire...

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