Premiers carnets, période 1996-2001

 

            Jeunes filles turbulentes 

            Jeunes filles courant, virevoltant, faisant exploser le sable sous leurs pieds ; un groupe de garçons dérangé par une mini tornade en maillot deux pièces ; espadrilles projetées sur la serviette d’un couple de retraités ; châteaux de sable et pâtés piétinés ; un enfant pleure, tout nu, agitant son râteau en signe de protestation… Cris, rires, pépiements et gloussements de jeunes filles turbulentes…

Furieuses, les filles reviennent auprès de leurs parents et de leurs amis, s’exclamant : « On s’est fait traiter de pintades par deux gros mecs ! »

J’avais bien envie de leur dire, à ces filles, que la pintade c’était meilleur que du poulet, plus racé, plus fin, avec un petit goût sauvage… Mais c’eût été m’exposer ainsi à la foudre tout visage et tout sourire de ces tendres et indisciplinées jeunes demoiselles en maillot deux pièces.[31 juillet 1997]

                          La déchéance 

            Bérénice, à la maison de retraite, se laissait pousser les ongles et remuait la terre d’un massif de fleurs chaque fois qu’elle se propulsait dans son fauteuil roulant sur la grande allée du parc.

Il y avait eu jadis une mine de fer à ciel ouvert, et la Terre alors, en ce temps là était noire, lourde, imprégnée de poussière de minerai. Les ongles de Bérénice devinrent durs, métalliques, noirs de crasse et pointus, puis se recourbèrent comme des griffes.

Alors, Bérénice, qui autrefois avait été une star, une étoile du monde, avec une chevelure d’ange féminin, faisait à présent caca sous son fauteuil roulant quand on l’embrassait, s’enhardissait auprès des aides soignantes, du jardinier, du cuisinier et des infirmières de nuit.

On lui parlait de sa gloire passée, et elle déchirait de ses griffes les couvertures de magasines qui la représentaient dans ses « belles années »…

Un jour, Bérénice embrocha un canari dans sa cage ; un autre jour, elle creva l’œil d’un enfant de trois ans venu lui apporter un bouquet de fleurs…[Août 1997]

                          La mécanique céleste 

            Un extraterrestre m’a dit « Vous avez eu Papon et Philippe Tétard, entre autres spécimens de votre espèce… »

Je lui ai répondu en baissant la tête que j’avais honte d’appartenir à l’espèce humaine…

L’extraterrestre est reparti dans les étoiles…

Combien de mondes a-t-il visité, l’extraterrestre ?

Et la « mécanique céleste » tourne, tourne…Indéfiniment. Avec l’impuissance de tous les radio télescopes de toutes les humanités…[Août 1997]

                        Le ciel qui brûle 

            Ton ciel brûle et fait des étoiles, la terre sous tes pieds s’entrouvre et fume… Tu baisses les yeux pour ne plus voir ton ciel.

Mais le ciel est toujours au dessus de ta tête et il s’allume tout seul !

Tu piétines les cendres qui fument sous tes pieds… Mais le feu dans la terre ne s’éteint pas.

Et cependant aucune porte ne s’ouvre toute seule. Et rares sont les mains et les regards qui te cherchent…

Et tu dis alors : « j’avancerais plus facilement avec une bassine retournée sur ma tête, qu’avec ce ciel qui brûle en moi »…[Août 1997]

                          Le marché de Périgueux 

            Comme dans le « Grand Bleu », j’aimerais descendre en apnée jusque dans le fond de la mer humaine de ce marché d’été : il y a peut-être des dauphins là aussi !

[Marché de Périgueux, mercredi 13 Août 1997]

                          Rêve fou, fou…  

            Un homme vieux, malade, pauvre, peut-être même infirme et difforme dans un fauteuil roulant, ni poète ni musicien, ni peintre ni philosophe et n’ayant jamais su rien faire de sa vie… souverainement régalé par une femme jeune, belle, chic, gentille et riche…

L’impossible ne peut-il être rêvé ?

La Beauté, toute gonflée d’amour, riche de tout ce dont elle s’habille, s’approchant doucement de la laideur la plus laide et la touchant, la léchant de petites flammes très douces, libérant dans les veines desséchées de la laideur si laide, toute la sève de la laideur et la faisant trembler, ivre d’un absolu bien être…

La laideur la plus laide et la plus solitaire, qui n’a jamais reçu sur la moindre parcelle de son épiderme, la plus petite goutte d’amour…[Août 1997]

                          L’être social et l’être « autrement » 

            L’être social qui est en nous, communique plus facilement avec le monde parce qu’il s’adapte aux règles et qu’il a des repères…

Mais l’être irrationnel qui est en nous, communique difficilement et même parfois pas du tout… Il y a en lui, en cet être là, différent de l’être social, une singularité que la règle ne prend jamais en compte. Aussi ne lui reste-t-il, à cet être là, pour communiquer, que des signes, des signes de lui seul…[Août 1997]

                        Pierre et Jean 

            Il était une fois Pierre et Jean.

Pierre appréhendait le monde en maître de maison au jugement sûr, en conducteur d’une puissante et confortable automobile. Sa carte de crédit était un mot de passe universel, même si, à l’occasion, son compte se trouvait à découvert…

Jean, lui, appréhendait le monde tel un skieur de fond qui n’aime pas la neige et ne sait pas bien s’arrêter. Il n’a ni automobile ni jugement sûr… Son compte n’est jamais à découvert, et le fond de son ciel non plus d’ailleurs… Mais sa carte de crédit ne « passe pas » : trois, quatre fois retournée, elle est le plus souvent refusée.

Ainsi va le monde : il y a Pierre ; il y a Jean…[Août 1997]

                          Pas meilleurs loin de là…  

            La mort ne nous rend pas meilleurs que nous avons été dans la vie… C’est l’inéluctable, l’inacceptable pour les êtres que nous sommes, hantés notre vie durant par le spectre de cette mort venant, qui nous fait découvrir au dessus du cercueil, toutes ces qualités que le disparu avait, de son vivant…

Lorsque nous étions, on ne nous a presque jamais dit le meilleur de nous… Et si l’on nous l’a dit, c’était pour en user, en tirer parti, de ce « meilleur »… Comme on tire le lait d’une vache pour le boire ou en faire des fromages.[Août 1997]

                          Sur une carte postale de vacances, fin juillet 1997 

              Aline, Marie-Thérèse, Doriane et les Autres… Bonjour le Groupement Postal des Brimbelles, et splatch ! Une très grosse vague blanche sur vos visages ! J’aimerais vous dessiner l’enchantement de ce rivage traceur de routes nouvelles !

Mot de passe à jamais périmé : « Ravage ».

 

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