carnets 1
Point de lumière...
Hier je n'avais point de lumière dans mon auberge : il me suffisait de raccorder un fil. Je n'ai rien raccordé du tout! Alors j'ai pris toutes mes bougies et je les ai brûlées. J'ai allumé aussi ma vieille lampe à pétrole. Et j'ai brûlé tout le pétrole.
Mes amis disaient : ici c'est la seule auberge où l'on s'éclaire avec des bougies et une lampe à pétrole.
Demain je raccorderai le fil, mais il y aura panne et mon auberge restera dans le noir.
Alors mes amis diront : ici l'on ne s'arrête pas, il n'y a pas de lumière. [1970]
Y’a plus…
Y’a plus de boulot
Y’a plus d’Avant, y’a plus d’Après
Y’a plus rien
Faut mettre des capotes pour s’envoyer en l’air
Y’a le sida
La tuberculo qui revient
De la guerre et de la guéguerre à tous les coins de rue
On ne sait plus ce qu’on mange ni ce qu’on boit
A-t-on faim, a-t-on soif ?
On ne sait plus où l’on va ni ce qu’on fait
Encore moins ce qu’on va faire
On ne dit plus rien ou n’importe quoi
Avec Chomdu et Balladu on se marre même plus au bébètshow
On est écolos mais la nature on s’en fout…
Un dimanche après midi sur la route des crêtes ou un matin d’été en
forêt ça fait même plus rêver
Y’a plus de pognon ou s’il y en a il s’envole
On voudrait, on ne peut guère
On pourrait, on ne fait pas
Au fond de la baignoire ça fait un vilain glouglou
Il faudrait que ça change mais on ne sait pas comment
Si nos ministres et nos députés ont promis
Si l’école ne donne pas de travail
Si demain c’est même plus un point d’interrogation
Si le ciel des Gaulois nous tombait vraiment sur la tête
Il ne faudrait tout de même pas pisser à côté de la cuvette
Si par hasard on arrivait à rire ou à pleurer encore
[Un jour, en 1982 ou 1983]
Le grand méchant loup
Seul, de ses grands yeux emplis de mélancolie, de son regard résigné, de ses pupilles tremblotantes, il nous a vus, du fond de sa grotte, le grand méchant loup… qui n’a jamais mangé personne !
Jusqu’en sa grotte ils sont venus, avec leurs lames effilées. Et d’un cruel sourire aux lèvres, ils découvraient leurs dents pointues.
Ils vont te lacérer, toi, le grand méchant loup !
Ce poil hérissé, ils vont le tanner
Ces yeux, les noyer dans le sang
Pauvre grand méchant loup !
Plus au fond de sa grotte il se terre à leur approche.
Plus au fond de sa solitude il a peur de ces mains qui se tendent pour écorcher… [1969]
La poupée mécanique
Ce beau visage, ces traits si purs, n’y aurait-il rien, derrière ?
Rien qu’une toute petite vie avec un carnet de caisse d’épargne, une robe de prisunic, des ronds de jambe autour d’un tabouret de bistrot, la main du patron de la boîte où elle bosse sur ses fesses, le bal disco du samedi soir, le dernier roman photo, le dernier magazine de stars ?
Ce rien serait-il tout pour elle ?
Je ne la blâme pas
Mais je ne la drague pas…
[1969]
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