Dans ma forge 7

            ELLE, ELLE, ELLE…   

         Elle, mais ce n’est pas elle… Elle, c’était hier. Un hier de plusieurs années déjà…

 Elle, c’est une autre elle.

 Et encore une autre…

 Elle n’a plus donné signe de vie. Sans doute parce qu’elle n’envisage pas de me dire ce qu’elle pourrait ou devrait me dire… Je ne saurai donc jamais si ce qu’elle me pourrait dire est bon ou mauvais à mon égard. Je suis un tordu, c’est vrai ! Et des pages et des pages d’écriture n’y pourront jamais rien. Du temps où nous correspondions, où nous échangions quelques mots au téléphone ou par « mail », elle me lisait et me commentait. Oui, je le reconnais, elle me faisait rêver. Mais quelle écriture ou quel personnage féminin ne me ferait rêver ? Pour avoir sans doute trop écrit, et parfois trop dit, à ma façon, de ces visages, et les avoir démesurément surdimensionnés, j’ai méconnu ce qu’ils étaient. Ils étaient eux, tout simplement, et le sont encore… Les oublier, ne plus penser à eux, je ne le puis… Leur trace me poursuit, et les mots qu’ils m’ont dit ou écrit… Je ne les reverrai jamais, à moins qu’un jour proche ou lointain, un « e-mail » ne parvienne… Ou quelque lettre. Mais « Sidi el Factor » n’est qu’un pourvoyeur de factures, du bulletin mensuel de « Facet » ou autre « bintzerie » insipide. Certains jours d’ailleurs, je n’ouvre pas ma boîte aux lettres. Et quelques enveloppes dont à leur en tête je présume le contenu, demeurent sur un rebord de meuble plusieurs jours sans être décachetées. J’ose le dire : j’ai un mépris et une indifférence souveraine pour les « Facet », les « César palace » et autres fanfaronnades publicitaires où l’on vous annonce que vous avez gagné cent mille euro…Par contre les très rares fois où parait une « certaine écriture », mon cœur s’emballe… Ce fut le cas, du temps d’elle…             Etre compris n’est pas là, à mon avis, l’essentiel. C’est du moins ce que je ressens. Une « elle », l’elle que j’évoque dans la 2ème partie de Quel monde possible, m’avait bien un jour dit que j’étais hermétique. Ce jour là, en plus d’être tordu, j’ai aussi découvert que j’étais hermétique. Nous n’en avions pas moins, elle et moi dans nos promenades sur les « hauts » Vosgiens où tintaient les clarines, des conversations de « cénacle »…Aimer me parait plus essentiel que d’être compris. D’ailleurs, n’est-on pas parfois compris sans être aimé ? Mon fils Tanguy ne manque jamais de me reprendre ou de me couper assez lestement lorsqu’à son avis et selon ses repères en matière de communication, je suis trop long et trop « détourné » pour expliquer quelque chose. Aussi j’admire les gens qui, en trois mots, une seule phrase, vont à l’essentiel et en disent ainsi plus long qu’une lettre de dix pages ou un discours oiseux. Parfois je me dis que si le langage articulé n’existait pas, ni l’écriture, il faudrait bien alors utiliser d’autres moyens de communication pour s’exprimer et échanger. L’on se regarderait et se toucherait sans doute davantage… Sites et blogs, alors, n’auraient que des images et l’on perdrait moins de temps en débats, politiques et autres…  

                       RIMBAUD  ET  KAFKA   

         Il n’y a que deux écrivains au monde qui m’impressionnent vraiment… Mais vraiment, alors !... En dépit du plaisir, de la reconnaissance, de l’admiration que je peux avoir pour bien d’autres auteurs… Rimbaud, parce que très jeune encore, il a décidé de ne plus écrire, ne plus produire d’œuvres. Kafka, parce qu’il a détruit une partie de ses productions, sans doute la part la plus importante.Un écrivain qui arrête d’écrire ou qui détruit son œuvre, cela m’interpelle… Il m’est arrivé moi-même d’envisager de brûler mes écrits, du moins une certaine partie… Parce que j’en considérais la vanité. L’inutilité, puisque ce que je pensais et écrivais n’ a changé ni ma vie ni celle des gens que j’aimais…Ecrire pour écrire, c’est comme pisser pour pisser. La seule différence entre pisser et écrire, c’est que lorsque la vessie est vide on ne repisse pas de suite, alors qu’après avoir écrit, on peut encore écrire tout de suite. J’ai beau me dire que je m’acharne à pisser de l’écriture comme un marin qui pisse son âme par-dessus bord au milieu de l’océan, loin de toute « terre promise » ; que je sue sang et eau en des marathons cérébraux qui ne mènent nulle part ; que je devrais fermer ma gueule et arrêter de réfléchir ; c’est plus fort que moi : les « illuminations » et le « terrier » me détruisent avant même la pensée de tout détruire. Et en plus je suis hermétique, fragmentaire et brouillon ! Oh ! Que j’envie les bricoleurs, les jardiniers, les musiciens du « bal à la papa », les baiseurs à la petite semaine, les gosses qui font des pâtés dans le sable, les sportifs, les « bien dans leur peau au boulot », les pragmatiques, les amoureux du fil de l’eau, les conteurs pour enfants et les écrivains de terroir !Fous moi la paix, vie intérieure ! Chère Bon – Diette adorée, à toi je te dis tout, mais tu vas me faire crever ! 

             Les gens qui lisent vraiment beaucoup, ont-ils aussi le désir et surtout le temps d’écrire ? Peut-on écrire abondamment et lire tout autant ? Sachant que lire, se documenter, observer et apprendre est nécessaire pour bien écrire ? Les gens qui lisent beaucoup et écrivent peu, soit parce qu’ils n’éprouvent pas le besoin d’écrire, ne se sentent pas inspirés, ou pensent qu’ils ne sont pas capables de rédiger autre chose que des lettres ou des notes, dans quelle mesure peuvent-ils vraiment comprendre ce besoin qui est celui de toute personne accomplissant tant bien que mal, œuvre d’écriture ? Le poète, le prosateur, qu’il soit celui qui écrit dans le « courrier des lecteurs », celui qui s’exprime sur un site personnel ou un blog, ou encore celui qui, page après page relate des anecdotes, des souvenirs d’enfance ou des évènements, conte des histoires… Est le plus souvent perçu dans sa famille ou par les personnes qu’il connaît, comme un individu plus ou moins déconnecté de la réalité, dont ne reconnaît pas ce qui l’anime ou le motive. Généralement peu soutenu et encouragé, il doit « s’exister » lui-même contre l’indifférence et parfois la condescendance dont il fait l’objet.Il est même tout à fait possible que les personnes les plus proches de lui n’aient pratiquement aucune connaissance de ce qu’il écrit et que même ses livres n’aient pas été lus… Et que tout cela soit finalement découvert après sa mort, si toutefois les documents éparpillés, les brouillons et les carnets, retrouvés au hasard d’un « nettoyage de printemps », ne soient « pieusement » enfouis avec d’autres « papiers », au fond de cartons ficelés… qu’un descendant exhumera peut-être si ces cartons n’ont pas pris le chemin de la déchetterie, ou les livres, d’un vide grenier… Evidemment si notre « écrivain » de la famille devient un « best seller », et qu’une nuée de journalistes s’abat autour de la maison du nouvel auteur enfin reconnu, alors fini les condescendances et les haussements d’épaule… Putain de notoriété : tu es aussi pourrie que le fric ! La notoriété c’est comme le pognon : plus t’en as, et plus t’es aimé en conséquence ! Excusez moi, les copains et les pas copains, mais pour moi, cet amour là c’est de la merde ! Assurément une destruction délibérée et pleinement consciente, opérée « de son vivant », est sans doute préférable à des années d’oubli dans des cartons ficelés.Sur Internet, c’est vrai, le « suicide » est beaucoup plus rapide : un coup de clic suffit pour « sauter dans le néant ». Charrier des cartons dans sa bagnole jusqu’à la déchetterie ou brûler des milliers de pages dans le foyer de sa cheminée est un bien long suicide ! De toute manière, on est toujours tout seul dans sa bulle, quoi que l’on puisse ressentir. L’immensité de l’intérieur de la bulle est insignifiante, infiniment petite… Brassens disait bien : « Il n’y a pas d’amour heureux ».

Ceux qui vivent, tout simplement, bouffent, bricolent et copulent avec ou sans amour, sont dans leur bulle comme le poisson dans l’eau. « Il n’y a pas d’amour heureux »… Cet amour là, justement, celui de la chanson de Brassens, est une magnifique illusion dont on passe sa vie à crever… Et c’est dur de crever pendant aussi longtemps. 

 

 

                                    GRANTENTERREMENT  GENERAL 

              C’était l’âme de sa queue, au défunt… Elle planait au dessus de ces Messieurs Dames qui dans leurs belles pompes cirées, cheminaient compassés, englués, gominés, raides comme des manches de bêche, costardés, pardocklés, imperdés, cravatés ou foulardisées quant à ces dames chic, en un sombre défilé silencieux sous un pâle soleil d’hiver derrière le fourgon mortuaire, un vieux Peugeot des années 50 à l’ échappement pétaradant, promu en futur camping car pour retraités pauvres à l’ambition voyagesque démesurée…Et le Mort sauf l’ âme de sa queue, balloté vers son destin tant envié de prétendant à la couronne des souvenirs pieux de tous ces vivants qui, du vivant du défunt accablaient ce dernier de pieuses hypocrisies, sottes moqueries et insipides politesses, recroquevillé dans cette bulle de solitude qui ne s’était point brisée dans l’infarctus, n’avait plus rien à payer pour jouir si l’on peut dire de cette halte mobile en cette pension ambulante et provisoire... Son fils, sa belle fille, ses vieux parents, héritaient désormais des désordres, des errements et du marché aux puces de son humble et courte vie, pourvoyant ainsi aux frais occasionnés par cet ultime voyage organisé en hôtel-calèche noire.

             Ah ! Qu’ils étaient beaux et chic, ces messieurs dames ! Joliment fringuées, demoiselles et jeunes dames en bas noirs, petites écharpes, trench-coat tendance, jupes fendues, robes sombres et droites, bien cintrées à la taille, décolletés discrets, visages anguleux, regards brûlants comme des lèvres amoureuses…Tristesse et compassion, épluchures de réminiscences, sanglots furtifs, balayés par le râle d’une âme en transe… L’ âme de la queue du défunt, suspendue au dessus de cette assemblée endimanchée…Emergence impudique d’un bout de slip de ciel bleu pâle, toute vibrante et enfiévrée d’ondes de féminité en noir.

             Et le dernier morceau bleu de ce slip de ciel disparut dans l’immense houppelande nuageuse, puis le pâle soleil d’après midi d’hiver, palpitant encore au plus profond de l’âme de la queue du défunt, fit pleuvoir sur les trench-coat, sur les fines écharpes, sur les robes cintrées, ainsi que sur les visages anguleux des filles et des femmes… De pesantes gouttes blanches.

C’était l’âme de sa queue, au défunt ! Une âme qui, du vivant de sa queue, au défunt, n’aurait assurément jamais raté un grantenterrement général…

 

 

                        LES YEUX FOUS 

           Ce que je n’ai ni écrit ni exprimé mais qui m’a néanmoins traversé, est encore plus immense que mon site, mes carnets d’hier et d’aujourd’hui, mes « documents pirates » rédigés sur le programme Word des ordinateurs de la Poste, ainsi que tout ce qui est enregistré sur des disquettes , dans « cassiopée » ou imprimé sur des feuilles A4 et pas encore copié sur des fichiers informatiques. Tout cela réuni n’est en réalité que la partie émergente, visible, et donc lisible, d’un « cosmos » inachevé relié à d’autres univers. 

             Ainsi sommes nous, humains, et peut-être « humanicules » ou autres créatures de tous ces mondes qui, je n’en doute pas, existent ou ont existé… Nous disparaissons tous avec l’immensité de ce que nous n’avons pas exprimé. C’est la raison pour laquelle le regard que je porte sur les êtres de ce monde est empreint de gravité, d’un certain recueillement, d’une interrogation qui ressemblerait à celle d’un enfant dont les yeux tournés en direction des étoiles rêveraient de toucher d’inaccessibles lèvres de lumière, d’entendre d’innombrables voix, de traduire autant d’échos… Ou de silences. Serait-il possible de transcrire ce regard sur une grande feuille de dessin, de réaliser ainsi la fresque de tous ces souvenirs que nous n’avons pas eu ? S’il m’est arrivé d’embellir ou de dimensionner avec autant de déraison, c’était bien plus pour magnifier cette beauté et cette « essence des êtres et des choses » que je pressentais… Plutôt que pour conjurer cette laideur du monde qui salit les êtres et viole ce qu’il y a de plus originel et de plus authentique en eux.

             De mes yeux fous et de tout ce que je n’ai pas dit ou écrit, de tout ce qui m’a traversé dans cette « si drôle d’expérience » qu’est la vie, j’ai, tout comme dans tout ce que j’ai dit ou écrit, rêvé de vous immortaliser, êtres et choses de ce monde que l’espace, le temps, les modes et les vies diluent, concassent, exilent, émiettent ou éparpillent… Tout ce qui a été perdu sera un jour retrouvé, puis je ainsi espérer…                            NOSTALGIE DE CE QUI UN JOUR SERA            Nous avons tous, plus ou moins, la nostalgie de ce que nous avons vécu… Et qui ne reviendra pas. Mais qu’en est-il de la nostalgie d’un avenir que nous pressentons, de ce que nous pourrions vivre et ne verrons peut-être pas ?  

La nostalgie de ce qui sera, après la naissance d’une relation, par exemple, et dont, par une étrange prémonition, nous en percevons l’existence puis l’évolution alors même que la durée à venir de notre propre existence est incertaine ?

 

 

            Une escapade, du 31 octobre au 4 novembre… 

                      Coucou, c’est moi, yugcib ! Je pars quatre ou cinq jours au vert sans mon ordinateur et sans internet. Je vais me jeter, d’un fol élan, dans la gentillesse , le chic et la classe de l’une de mes cousines ayant une maison à Ligny le Ribault, près d’Orléans. Avec des gens de ma famille que j’aime à en crever. Oui, je vais faire mon « printemps Austral » en Sologne, dans cette maison familiale au passé si riche d’émotions et de souvenirs, d’atmosphère et de convivialité… Gustave Flaubert et George Sand auraient certainement adoré cette maison, ces fêtes du cœur et de l’esprit en petit comité, au printemps sous la véranda fleurie, au temps des chrysanthèmes dans la salle à manger familiale. Avec Irène, ma femme, nous disposerons d’une véritable « suite » à l’intérieur de cette vaste demeure achetée en 1927 par les parents de Martine aujourd’hui hélas disparus…J’en ris déjà, de ces éclats de rire à nul autres pareils de ma chère cousine Martine et de son fils Frantz… 

                           PRINTEMPS  AUSTRAL

             « Cassiopée », mon ordinateur, ne m’a pas suivi en Sologne… Exit Halloween, jour des Morts et Trépassés… Ce « printemps Austral » que j’ai évoqué, symbolise à mon sens une levée de jours comme en Avril en Laponie et Octobre en Terre de Feu. Une levée de jours comme la naissance d’une symphonie de voix, de visages nouveaux, d’élans et de rencontres qui, dans un paysage s’élargissant, monterait peu à peu dans l’azur, effacerait chaque soir et chaque matin un petit bout de nuit… Autant dire un petit bout d’indifférence et de solitude. Trucidées de printemps austral à l’orée de l’hiver boréal, les solitudes viscérales ! Blanchies de petites écharpes de lumière, les certitudes d’ébène !Et, sans solitudes viscérales, sans certitudes d’ébène, alors peut grandir la saison… Et se faire l’inversion, à chaque équinoxe. J’ai rêvé d’une Terre dont chacun de deux hémisphères à l’équinoxe, repartirait vers l’été. Les certitudes d’ébène sont celles que le monde nous impose : elles sont aussi des certitudes piège. Les solitudes viscérales sont celles qui sont tiennes et qu’aucun être au monde ne peut porter dans  son ventre à ta place. Toi-même, tu ne sais pas la solitude viscérale de ton prochain.

J’en ai rêvé, de ces solitudes viscérales et de ces certitudes d’ébène s’enfuyant comme l’eau d’une baignoire, en spirales dans le trou noir…

            EH, GARCON, PRENDS LA BARRE !

             Il est de ces forteresses que je bombarderais et de ces tours crénelées que je cisaillerais… Et j’en brûlerais de feu grégeois, de ces rivages inhospitaliers…J’en criblerais de grenaille, de ces vitraux aux condescendants reflets…J’en botterais au cul, de ces princes arrogants qui prédatent le pauvre peuple…J’en torcherais de kilomètres de tags, ces remparts de cités – prisons…J’en défriserais les frisures – culte, de ces cathédrales élevées à la gloire de l’Argent – Roi…Et, sans avoir jamais battu d’aucun pavillon, pas même de ce Grand Noir dans les aubes déchirées aux abords des rivages…Après avoir couru les océans j’irais mouiller dans ces ports que j’aime, ces ports amis, ces ports d’un autre monde ancrés dans les criques des pays de ce monde…Dans ces ports, j’y « draguerais » à ciel ouvert ces visages de femme, d’enfants et de vieillards et de braves gens, du feu de mon esprit et de mon cœur…Je les ferais, tous ces enfants là, reines, rois et princes, milliardaires de regards et de sourires…Je leur passerais ce flambeau qui me vient de je ne sais d’où et que j’ai tenu d’une main tremblante…Et, lorsque je quitterais le port pour d’autres traversées d’océan, de nuits polaires ou d’ardeurs tropicales…Le jour de mon dernier voyage et donc, de mon naufrage…

Je leur dirai : « Je ne veux ni larmes ni stèles ». 

                        LE PRIX  ALEXANDRIE

            Ce n’est point que je sois résolument contre l’existence et l’attribution de prix, qu’ils soient littéraires ou autres…En d’autres temps, alors que j’étais âgé de 16 ans, au Lycée Victor Duruy de Mont de Marsan en classe de 3ème en 1964, je suis bien monté sur le podium pour y recevoir un prix d’excellence. Il est vrai que les temps ont changé et qu’aujourd’hui il n’y a plus dans les écoles de distribution des prix. De quelque nature ou de notoriété qu’ils soient, sans doute de nos jours plus encore que jadis, les prix ont essentiellement le pouvoir de faire bien vendre et acheter. Profusion de prix littéraires, de concours, de distinctions, de coupures de presse le plus souvent réduites à un « entrefilet » de trois lignes… Où sont-elles, les vraies références, celles qui, il n’y a pas si longtemps, outre les portes des banques, ouvraient aussi les portes des cœurs et des esprits ? Sur le podium, en 1964, le jour de la distribution des prix, j’avais surtout devant moi mes copains que j’adorais et je me souviens que les « Autorité(e)s, en grand appareil vestimentaire et paroles de circonstance, ne m’avaient guère impressionné, moi, le garçon sans doute le plus timide dans l’intimité de l’intimité mais le plus hardi dans les cours de récréation, la contestation et la désobéissance aux règles fixées. Et si ma main trembla lorsque me fut remis « Le monde animal en 1001 photos », c’est à la pensée émue que je devais ce prix à la gentillesse et aux coups de coude de mes chers copains qui, toute l’année durant n’ont jamais cessé de me motiver et de m’inspirer, y compris dans des disciplines où je n’excellais point habituellement .

            Mais tous ces prix, voyez vous, que je ne conteste pas, dont je reconnais l’existence sinon la pertinence et le bien fondé, ne représentent pas dans mon esprit quelque chose de vraiment déterminant au point de les courir et d’essayer de les décrocher…« L’heureux élu », pour un temps sous les feux des projecteurs, n’en demeure pas moins dans l’environnement relationnel qui est le sien, cet être ordinaire traversant les jours de sa vie qu’un prix littéraire ou autre n’habille qu’en apparence. Or nous sommes tous des êtres ordinaires avec, certes, quelque chose d’exceptionnel en nous, un peu comme l’atmosphère et le paysage d’un monde vivant ne ressemblant à aucun autre. En ce sens, chacun est titulaire de son propre prix, qu’il doit d’ailleurs le plus souvent « porter à bout de bras » afin d’en assurer l’existence. Je comprends parfaitement que dans le sens du monde où nous vivons, et cela même avec les intentions les plus louables, les plus sincères et les plus conformes à un esprit de compétition loyale, c'est-à-dire sans « arrangements » particuliers, vous puissiez envisager l’existence d’un prix Alexandrie. Mais je me vois mal participer à une « assemblée de décerneurs », voter pour tel ou tel auteur, et encore moins concourir moi-même.Avoir fait le choix de verser son œuvre dans la bibliothèque d’Alexandrie et l’y rendre consultable, et donc, accessible, me semble déjà plus important que de prendre rang pour un prix, fût-il même celui d’Alexandrie.

             Et que vogue le frêle esquif dans l’immensité des flots, et à la grâce d’Alexandrie !

                           LA  LOUISIERE 

           Ici, dans cette grande demeure de briques rouges à la toiture d’ardoise et aux volets verts, bâtie vers la fin du 19ème siècle, à Ligny Le Ribault en Sologne, sont les jours heureux… Je veux dire ces jours qui, à l’occasion de réunions familiales, de brefs séjours ou de rendez vous de vacances, ont été ces jours différents des autres jours parce qu’ils s’inscrivaient comme entre parenthèses dans un contexte relationnel « hors de l’autre temps vécu », celui des gris lundis de bureau ou de cours d’école… La maison, achetée en 1927 par les parents de Martine, entourée de ses sept hectares de bois et de prés aujourd’hui en friche, a tout le caractère de ces maisons de Sologne… Autrement dit, un charme et une atmosphère traversés par les couleurs, les essences, les lumières des jours de toutes les saisons. Si les bois et les prés ne sont plus entretenus, ils en conservent toutefois les traces indélébiles de ce qui fut leur passé. Un passé habité de ces êtres dont je connais à présent l’histoire et sont entrés dans mon imaginaire tels des personnages de légende… 

           Lors de mon précédent séjour au début du mois de mai 2005 à Ligny le Ribault, il y avait Annette, la sœur de Martine, Jean Luc, le fils d’Annette et Anne Céline une fille très chic, fiancée de Jean Luc.Ce sont ces situations relationnelles, telles qu’elles s’établissent et sont vécues en un lieu donné, autour d’une table par exemple au moment du déjeuner familial, à l’apparition de l’un des convives et de ce qui émane de lui au tout premier regard, qu’une mémoire précise et sensible retient, avec tout ce qui en constitue le décor ou le cadre environnemental. Alors les êtres, comme des routes qui se croisent, sont éclairés par une même lumière, signalés par les mêmes panneaux directionnels à la confluence de leurs histoires mais portant cependant des noms de lieu différents selon leur origine et leur destination. C’est ainsi que naissent les liens et les relations, si durables ou éphémères soient-ils…Anne Céline, je la revois encore, bien ceinturée dans son petit imperméable blanc, délicate silhouette de grande jeune fille brune au visage typé, débarquant accompagnée de Jean Luc dans la cuisine de la maison, après avoir franchi la porte donnant sur la véranda… Et je me pris, par je ne sais quel virage de pensée, à la comparer à Marie, qui était encore en ce mois de mai la compagne de mon fils Tanguy : Anne Céline était du même silence et de la même présence que Marie, mais d’un point d’interrogation différemment ciselé…

Je dois avouer que son apparition, ainsi que celle de Jean Luc, d’ailleurs, dans l’îlot que nous formions, Martine, Annette, Irène et moi, fut assurément une porte ouverte avec un certain plaisir et que les jours qui suivirent, ont vraiment été des jours heureux… Comme entre parenthèses.

                        LE  VER  

          Scrutatix était un tout petit ver blanc… Qui se tortillait de régal dans la pulpe de fruits tendres et savoureux… Fruits qu’il choisissait au hasard de ses « explorations »… Ou qui se présentaient à lui, ouverts de lèvres douces, hôtes bienveillants ou curieux de la substance dont il allait enduire leurs fibres… Des fibres qui se laisseraient doucement mordre et embrasser par ses petites dents…

            Scrutatix entra un jour dans un gros, un très gros fruit… Dont les habitants blancs, verts, rouges, noirs et roux, autres petits vers comme lui, disaient : « le fruit est pourri ». 

            Scrutatix dans le gros fruit, jouit et souffrit… Et se demanda en dépit de ce qu’il y souffrit, de quelle nature était la pourriture du fruit… Il se tortilla, de régal et de douleur ; se lova en des alvéoles qui lui plurent… Il but, il saliva, il se nourrit, il se gonfla car il n’évacuait point, puis il devint chrysalide, et papillon… Lorsqu’il eut en plein ciel, le souvenir du fruit et de sa pulpe, il vit que la « pourriture » ne venait pas des fibres… Mais des excréments et parfois de la semence que les habitants du fruit avaient répandus entre les fibres…Il est vrai que ce très gros fruit à l’écorce craquelée n’était pas particulièrement tendre ni savoureux… Dans son ensemble. 

                          L’ŒIL

            Si je croyais en Dieu comme je crois en chacun d’entre vous qui m’existez et m’émerveillez… Et qui êtes légions… Alors je déclarerais ce Dieu, non responsable du malheur des hommes, puisque je suis intimement persuadé que l’on ne peut vous imputer, à chacun d’entre vous, l’état du monde… Même si ce monde tel qu’il est, nous l’avons fait.N’est-ce pas plutôt cette part inconnue et immaîtrisée de nous-mêmes qui est responsable des malheurs du monde, de tant d’accidents relationnels et d’inégalités non naturelles ?

Et si ce Dieu auquel croient tant d’humains n’était pas au fond, un « œil » auquel personne ne croit ? Un « œil » dont le regard ne serait pas encore allé jusqu’au fond des vallons les plus reculés du monde ?

                        IL EST DE CES OISEAUX…

             Il est de ces oiseaux dont on regarde passer le vol parce que les dieux en ont peuplé le ciel… Il en est d’autres qui vont à la rencontre des enfants de la Terre et se posent sur les rebords de fenêtres et même parfois, mais plus rarement, dans le creux des mains… Ils ne cessent d’émettre le premier chant, espérant ainsi que la voix des enfants de la Terre suivra. Mais la voix ne vient pas.Ainsi en est-il de ces oiseaux que les dieux n’ont pas élu : s’ils ne vont pas au devant des voix, sur le rebord des fenêtres, s’ils n’émettent pas et gardent leur chant en eux, il ne sera jamais personne pour lever les yeux sur leur vol ou écouter leur chant. La relation avec l’autre ne s’établit généralement que par la démarche qui consiste à tenter de joindre cet autre. Et lorsque la relation s’établit, elle ne dure vraiment que le temps de son existence. Chaque renouvellement de la relation demeure très souvent dépendant de la même démarche à sens unique.J’ai peu connu en ma vie de ces êtres qui, inlassablement, tentaient de joindre l’autre sans attendre que l’autre fasse le premier pas. J’ai peu vécu en ma vie de ces relations qui n’aient point été subordonnées à cette même démarche mille fois renouvelée, à sens unique…Cela tient, je crois, au fait que la plupart des humains sont comme les oiseaux d’une même espèce, d’une même contrée, d’un même habitat, d’un même chant, d’un même vol : ils se regroupent entre eux, forment des communautés ou des clans, et n’ont donc pas besoin de « cet autre venu d’ailleurs ».Or chacun de nous, en ce qui le singularise, est « cet autre venu d’ailleurs ». Et le clan, c'est-à-dire le « noyau relationnel », occulte en partie cette singularité qui est en nous. Il n’est donc pas aisé d’extérioriser de la manière la mieux appropriée,  ce qui nous singularise. Mais il n’y a pas d’autre choix que de prendre le risque de le porter en avant, puisqu’il n’est que très rarement découvert. Les oiseaux dont on regarde passer le vol parce que les dieux en ont peuplé le ciel, n’ont en fait, jamais été « bénis » des dieux : les dieux les ont « hissé » dans le ciel pour l’éclat dont ils pouvaient jouir auprès des enfants de la Terre. On ne perçoit presque jamais le chant de l’oiseau dans ses nuances les plus subtiles. Il semble que l’essentiel soit que le chant plaise au plus grand nombre. Les dieux ne cessent de peupler le ciel d’oiseaux dont le vol n’a pas besoin d’être cherché pour être vu.             Dans une relation qui demeure dépendante d’un courant à sens unique, il arrive un moment durant la traversée de la vie, où s’installe une lassitude, où vient une interrogation sur le sens de la relation… Alors l’approche de l’autre, à force d’être répétée, cesse de contenir cette part de rêve, d’aspiration et d’imagination qui la chargeait de sens et de force… L’on peut bien passer sa vie à toujours faire le premier pas, ou à extérioriser ce qui nous singularise, l’on ne reçoit que rarement en retour cette reconnaissance dont nous avons besoin, tout simplement, pour exister… Cela est tragiquement vrai en particulier dans les relations qui nous sont les plus essentielles : celles de l’environnement familial. Etre tenu par exemple, pour la « 5ème roue de la charrette » par un gendre, une belle fille, le compagnon de sa fille ou la compagne de son fils, n’est pas une situation « confortable » relationnellement parlant. Il en est de même pour un garçon ou une fille mal reconnu par la famille dans laquelle il entre et qui, de surcroît, est un « étranger » dans sa propre famille. Ce sentiment de « ne pas compter », d’être perçu comme un « meuble faisant partie du décor », et parfois l’expression d’une contestation systématique intervenant à tout propos… Tout cela finit par retenir le moindre élan vers cet autre dont on aurait tant souhaité être aimé,  effacer toute espérance, contribuer à la formation d’un « glacis »…Toute extériorisation, alors, du plus vrai de soi-même, devient un grand saut dans le vide… Comme un « saut à l’élastique du pont de Luc Saint Sauveur sans élastique »… Est-ce un « mal en soi », d’attacher une certaine importance à ce que l’autre perçoit ? Et de chercher à le savoir ?                Avez-vous jamais rêvé, dans votre vie, de faire le grand saut à l’élastique, depuis le parapet du plus haut pont du monde ?... Avec l’élastique, bien sûr ! Et quelles personnes auriez vous aimé avoir auprès de vous, le jour du grand saut ? Auriez vous souhaité sauter jusqu’au fond de la vallée, un jour de printemps, d’été, d’automne ou d’hiver ? 

 

                        

 

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Commentaires

  • Janedeau
    Très très belle écriture Yucib. J'ai adoré. Comme je n'ai pas toujours le temps de faire le tour des blogs, j'espère que tu tu viendras posté chez moi !!!
    Te lire est toujours un grand plaisir ! Magnifique plume qu'est la tienne !
    Je t,envoie une myriade de bisou xx bon week-end mon cher ami des mots
    Jane

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