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     Les messages que je reçois, en réponse à certains de mes « sujets de réflexion », généralement me font énormément plaisir, parfois m’émerveillent et occasionnellement m’interpellent dans la mesure où ils me font encore réfléchir et sans doute découvrir qu’il existe des sensibilités différentes de celles que j’exprime selon, dis-je, « un autre langage », mais dont la réalité ne saurait être écartée et encore moins niée ou rejetée.

Certes, mes émerveillements, mon « regard sur le monde » que je déclare différent d’une « vision du monde », je les crie, presque… Et sans toutefois les porter comme un étendard, il m’arrive, très honnêtement, d’en être fier… Mais je vous le dis : n’y voyez là, le plus souvent, qu’une cabriole ou une acrobatie de gosse devant les copains… et surtout les copines.

Comme tous les gosses du monde, du moins ceux qui ne crèvent pas de faim et ne sont pas malades ou gravement handicapés, il m’arrive de « passer la mesure ». Alors, un bon coup de pied au cul n’a peut-être pas été volé… y compris donné par un « salaud ».

J’ai beau rêver d’un monde meilleur, j’ai beau avoir la tête dans les étoiles, je comprends la dureté du monde dont je discerne les rouages et les mécanismes.

Les messages que je reçois, heureusement pour moi du fait de l’émotion avec laquelle je les prends en compte, ne se comptent guère par dizaines et par jour. Qu’il y en ait un qui soit particulièrement gentil et encourageant… Et c’est parti ! Dans les étoiles ! Et le rêve prend feu, un visage se dessine tout seul, comme une de ces figures au lazer par-dessus les dômes du Futuroscope un soir de 15 Août…

Et pour ce visage là, ce ne sont plus des « cabrioles » que j’invente, mais un ballet d’OVNI dans un ciel immense que je ne trouve jamais assez bleu.

Qu’en serait-il si une pluie de messages gentils tombait du ciel comme des étoiles et si, à chaque sillage de lumière, mon paysage voulait s’ouvrir tout entier pour lui seul ? Je n’ose imaginer un tel délire… C’est quand même un peu ingérable d’avoir un cœur trop petit pour autant d’histoires d’amour !

Dans un certain sens, j’aime encore mieux que mes messages restent sans réponses et investir toute mon espérance dans un silence que je sentirais empli de vos visages et de vos regards, et qui me paraîtrait bruissant de tout ce que vous me pourriez dire…

Si, au lieu d’écrire en « tableaux » ou en fresques, de passer d’un sujet à un autre, et de m’embarquer dans toutes sortes de développements, j’écrivais des romans, ou des livres bien construits avec une trame, une intrigue, une histoire ayant un début et une fin, peut-être aurais-je pu intéresser un éditeur dans la mesure où j’aurais été « vendable » et « consommable ».

Mais c’est ainsi : je suis fragmentaire et éparpillé. J’imagine bien des histoires, mais je me dis « Pourquoi rester 200 ou 300 pages sur une histoire en particulier, et ensuite écrire une nouvelle histoire d’autant de pages ?  Alors qu’avec une seule page, un seul tableau, qui en dit aussi long qu’un roman, le lecteur va se faire lui-même son roman… Ou son film.

J’aurais voulu être peintre, ou, mieux encore, auteur compositeur. Etre devant un public… Avec tout de même à mes côtés, un bon « existeur » pour ne pas dire une bonne « existrice » qui m’aurait « introduit ». Aller de ville en ville, habiter dans un camion aménagé, faire la tournée des bistrots avec des tas de copains et copines. Mais je n’aurais pas voulu être accompagné par une cohorte de journalistes de haut vol ni par tous ces « allumeurs de génies » qui fabriquent des « vedettes » comme on lance une mode ou une marque de vêtement. Des cirques, de petits chapiteaux, des halls de ciné genre celui de Contis Plage. Et je n’aurais jamais eu, je vous jure, à mes basques, des tas de gonzesses et de mecs se bousculant pour une dédicace ! C’est du vrai amour que j’aurais voulu, pas des applaudissements, des bis et re-bis, et demain à l’usine, au bureau, casser du sucre sur le dos du collègue ou dire que son voisin est un con. Le « vrai amour », c’est pas seulement celui qui existerait entre moi sur une scène et cent personnes pour m’écouter. C’est surtout celui qui, au-delà du spectacle, au-delà des mots et de la musique, dès demain matin, ferait que les gens ne s’engueuleraient plus pour un oui pour un non, et qu’ils se sentiraient moins seuls.

Je ne serai jamais un romancier, un romancier avec des « fit-il » toutes les 2 pages, des voyages et des aventures qu’un bon DVD remplace aisément. Je ne lis jamais de livres qu’un film peut remplacer. Mais je ne vois jamais, non plus, de films qu’un livre ne peut pas faire. Quoique certaines adaptations au cinéma, d’œuvres littéraires soient réellement des réussites.

Lorsque j’ai écrit « Au pays des guignols gris », j’ai repris un recueil de nouvelles rédigé douze ans plus tôt, j’ai mis un peu de « ciment » pour relier le tout, mais ce « ciment » là n’était qu’un contexte géographique et historique dans un futur très éloigné. Il n’y a pas de trame, seulement une œuvre hétéroclite, en partie fragmentaire et en partie, si l’on peut dire, sous la forme d’un récit devenant lors de l’épisode le plus long, du roman.

Nous avons tous nos défauts, nos répétitions, notre style, nos expressions et images favorites… Dans « Au pays des guignols gris », faites le compte des « fit-il » ou autres « scies » assez communément utilisées y compris dans les livres de bons écrivains : vous n’en trouverez pas beaucoup, de ces « fit-il »… Par contre, amusez vous à compter dans mon livre le mot « visage ». Vous en aurez peut-être le vertige !

Vous l’avez deviné, pour ne pas dire lu et archi – lu, « visage » est mon mot préféré de la langue Française. Je vous demande pardon si j’en abuse autant. S’il y a bien un mot que je souhaiterais traduire dans toutes les langues et tous les dialectes du monde, et taguer dans toutes les écritures sur les murs, c’est assurément celui là !

Il faut à mon avis, toute une vie d’écriture pour approcher, peut-être enfin, une « certaine écriture »…

L’œuvre d’écriture est toujours une œuvre difficile et inachevée. Ainsi lorsque je relis mes carnets, je suis l’évolution de mon écriture, des premiers, ceux de 1983 et 1985 qui déjà, me semblaient plus « ouvragés » que mes cahiers d’avant 1975 ; jusqu’à ceux d’aujourd’hui aux innombrables ratures qui me font parcourir des « marathons » cérébraux avant que leur contenu soit enfin transféré sur l’un ou l’autre des « modules » de « Cassiopée ». Relisant certains textes du temps où j’étais pensionnaire au Lycée Victor Duruy à Mont de Marsan, je me noterais certes, entre 12 et 15 pour les idées exprimées, mais à peine 8 à 11 pour le style ou la forme. Mes devoirs de Français, alors, n’étaient somme toute que de « bonnes petites compositions Françaises » telles qu’en rédigent aujourd’hui encore des élèves d’un niveau acceptable en Français. Les carnets de 1983 et de 1985, je les trouve « assez enfantins » quant à leur forme d’expression, quoique développant parfois des idées ou des sujets relativement complexes. Ces « torrents de montagne » que j’évoque dans un premier carnet en été 1983, n’ont pas à mon avis, ces nuances de lumière, cette musique, ce rythme, cette force, ce courant que j’aurais pu en ce temps là leur souhaiter… Et je me demande d’ailleurs, même aujourd’hui, si je ne « cours pas encore après ces torrents ». Peut-être toujours trop sensible à ce qu’ils portent et qui vient d’une source dont je suis si amoureux, je ne les fais pas assez couler ni dévaler dans la clarté et la force qui poussent leur courant vers l’océan en les faisant chanter.

Il semblerait que l’été 1997, un été de « fracture relationnelle » et de séisme émotionnel, fut déterminant. D’autant plus que cet été là succédait à d’autres étés sans écriture parce que la vie de tous les jours, alors, suivait son cours et ne pouvait s’écrire autrement que par ce qui était directement vécu, partagé, exprimé de vive voix, ri ou pleuré, avec des êtres aussi proches que s’ils eussent été des frères ou des sœurs.

A un certain moment de ma vie, j’ai peut-être, consciemment ou non, senti que l’écriture n’était plus nécessaire : c’était le vécu qui la supplantait en dépit d’une « vie intérieure » plus intense encore qu’en une période d’écriture.

L’œuvre d’écriture a tant besoin de vécu et de ressenti que, pour être accomplie, elle doit nécessairement avoir pour ateliers, ces espaces d’existence uniquement traversés par la seule présence des êtres et de la relation qui nous lie à ces êtres. Et en de tels ateliers, l’on vit et l’on éprouve, l’on partage et l’on exprime, avant même de penser ou de s’interroger, et donc, d’écrire…

Mais l’intensité du vécu, du partagé et du ressenti, féconde l’esprit. Alors naîtra l’écriture, lorsque les espaces d’existence auront été traversés, que les visages auront disparu et que des paysages nouveaux se mouvant dans l’atmosphère qui les enveloppe s’ouvriront à nos yeux. C’est du moins ce que j’ai ressenti dans tout retour de l’écriture.

Quoi qu’il en soit, pour le présent et les jours qui viennent, je ne me vois guère écrire des romans. Commencer une histoire de 200 pages ou plus, avec des personnages fictifs, une trame, une intrigue, des voyages et des aventures… A quoi bon ? Comme s’il n’existait pas déjà en notre beau pays de France, le pays où tout le monde écrit, autant de livres pour se divertir ! N’y a-t-il pas en dépit de tant de médiocrités et de sens commun en matière de publications, de ces œuvres dignes du nom d’œuvre et qui, à profusion, quoique peu souvent éditées, attendent des lecteurs ?

Les œuvres d’esprit et de cœur, de langage qui n’est pas celui que l’on parle et écrit habituellement, sont disséminées entre les labours et les sillons de cette terre cultivée et souvent maltraitée des hommes, comme les graines de ces blés de demain que l’on fera pousser sans les avoir pollués.

 

Il n’est pas facile de sortir de la « logique » d’un système, sachant que le système est un mécanisme fonctionnant selon deux modes interdépendants : celui du sens réel et incontournable en lequel toute entreprise humaine doit nécessairement se conformer, s’adapter et évoluer… Et celui de la manière dont nous fonctionnons nous-mêmes dans un environnement donné.

Autrement dit, réaliser, agir et s’exprimer est aussi dépendant du « sens du monde » que de son propre sens.

L’écrivain, par exemple, comme tout artiste d’ailleurs, est dépendant de ce système, et par conséquent, dépendant de chacun de ses deux modes de fonctionnement.

Avant d’aller plus loin, je voudrais au préalable définir personnellement ce que j’entends par « écrivain ».

Un écrivain n’est pas forcément quelqu’un qui écrit et publie des livres. Un écrivain n’est pas selon la définition donnée par le dictionnaire « celui dont la profession est d’écrire » ou « une personne qui compose des ouvrages littéraires ».

Un écrivain est à mon sens une personne qui fait œuvre d’écriture, exactement comme une autre personne qui, passionnée de peinture, réalise des tableaux ; ou, passionnée de musique, joue d’un instrument ou compose des morceaux. Faire œuvre d’écriture n’implique donc pas forcément de publier des livres et, tout à fait éventuellement pour nombre d’écrivains, de tirer un revenu de la publication d’œuvres. Bien sûr, un écrivain reconnu qui publie des livres lus par de nombreux lecteurs, est, certes, un écrivain tel qu’il répond à la définition du dictionnaire, et ce que nous entendons, « au sens du monde », par « écrivain ».

Dans le sens que j’évoque, l’écrivain, celui qui fait tout simplement œuvre d’écriture, a besoin d’avoir autour de lui des personnes qui le soutiennent, l’encouragent, le lisent et échangent avec lui des impressions, du vécu, du ressenti, des points de vue, des sentiments…

Ces personnes peuvent être celles, ou du moins quelques unes, de l’environnement familial, des amis, des connaissances : ces personnes ne sont pas obligatoirement inféodées à la pensée de l’écrivain et peuvent même controverser ce dernier assez vivement. Mais elles forment autour de l’écrivain un « cercle », un environnement dont l’écrivain ne peut se passer et sans lequel il ne peut exister. En ce sens, l’écrivain a besoin d’être « existé » dans un espace relationnel par des gens qui le connaissent, sont ses amis ou les fidèles lecteurs de ses productions.

Plus le cercle est étroit, et moins les productions de l’écrivain ont de lecteurs, moins l’écrivain lui-même est « existé », et plus ce dernier devra forcément, consciemment ou non, « s’exister » lui-même, c'est-à-dire concevoir et réaliser sa propre promotion… se débattre en somme, déployer une énergie qui ne sera pas orientée dans le sens qui, peut-être conviendrait.

« S’exister » soi même, se « vendre » ou se promouvoir, c’est aussi prendre le risque de verser dans les travers du sens commun, ces travers dont les siens propres sont plus invalidants que ceux que l’on déplore, soit disant, des autres…

C’est donc cela, la grande difficulté : celle de sortir de la « logique » de ce système qui s’impose lorsque, n’étant guère « existé », il n’est d’autre recours que de « s’exister » soi même.

 

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