Carnet 40, suite écrits après l'été 2008

 

La clef perdue

 

Avec sa femme, il avait décidé d'aller se promener du côté de L..., une petite bourgade située à quelques kilomètres de l'océan. A un certain moment il fut préoccupé par un problème de clef oubliée ou perdue, et se souvint très précisément de l'endroit où cette clef devait se trouver. Il dit alors à sa femme : " reste ici, j'en ai pour une demi-heure aller retour et je te rejoins près de l'église". Ils demeuraient à M... tout près de L... et la clef perdue selon lui, se trouvait dans l'herbe tout près de la porte de leur logement...

Il prit place dans la voiture, une vieille Renault, et fonça donc vers M... Quelques kilomètres plus loin dans une ligne droite, alors qu'il roulait à 110 kilomètres à l'heure, la pédale d'accélération se bloqua au plancher sur une simple pression de son pied, et il fut emporté par la vitesse sans avoir la possibilité de ralentir. La pédale restant comme obstinément vissée, clouée au plancher, il vit que l' aiguille du compteur atteignait le chiffre de 180. Il ne maîtrisait plus rien, entraîné dans cette vitesse vertigineuse, figé, glacé d'effroi, réalisant qu' il allait mourir, c'est à dire s'écraser contre un arbre ou contre une autre voiture. La route, entre L... et M... n'est pas une route pour une telle vitesse : impossible de distinguer les bas-côtés, du milieu de la chaussée, à cette allure là. Il semblait que la voiture dans sa trajectoire, prenait toute la largeur de la route. Inévitablement, quelqu'un allait survenir en face.

Ce fut une très jeune femme, dans une petite voiture, qui survint, et en l'espace d'une fraction de seconde, il put apercevoir le visage de cette jeune femme. Dans cette même fraction de seconde, il réalisa qu'en explosant lui-même, il allait du même coup faire exploser aussi ce visage... C'était comme s'il entrait tout droit dans cet " enfer " dont parlent les religions, un enfer absolu... Parce qu'il savait comment cet accident serait interprété : l'on ne dirait pas autre chose que : " il roulait à une vitesse excessive, ce fou, il s'est tué, mais il a tué en même temps une jeune femme qui revenait de son travail et regagnait son domicile. " Même sa femme ne comprendrait jamais pour quelle raison il roulait aussi vite ni ce qui avait bien pu le prendre, lui qui n'aimait pas la vitesse et ne prenait jamais de risques.

La toute dernière vision qu'il eut avant le choc, fut celle de la silhouette agitée de sa femme, effectuant pour la dixième fois peut-être le tour de la place de l' église, inquiète de son absence prolongée... Et ces éclairs bleus de girophares balayant les arbres...


 

Les deux maisons

 

La maison dans laquelle il vivait n'était ni celle où il avait vécu dans le Nord de son pays ni celle où il s'était installé dans le Sud de ce même pays. Il ne reconnaissait d'ailleurs pas le pays où il vivait à présent. Cependant cette maison semblait être les deux à la fois, celle du Nord et celle du Sud... Selon un arrangement complètement différent. Et dans cette maison un soir d'été, régnait une animation inhabituelle : des gens de plusieurs époques différentes de son existence, qui étaient des parents, des amis ou même de vagues connaissances, en assez grand nombre, se trouvaient là, conviées ce soir à un gigantesque festin, avec de nombreux jeunes garçons et filles, qui eux, semblaient être des camarades de sa fille âgée de 18 ans et de son fils de 24 ans. Tous étaient étonnamment sympathiques, très joyeux, très drôles. Ce n'était pas, à proprement parler, comme une fête ordinaire dans le genre des fêtes que l'on fait, pour un anniversaire ou tout autre évènement. C'était, bien sûr, une fête, mais l'on sentait que cette réunion avait un but, une finalité, laquelle, il ne savait pas.

Toutes les pièces de la maison n'étaient meublées que de tables et de chaises... Pas de lits non plus, mais seulement des couvertures et des tapis de sol un peu partout, dans les couloirs. Tout ce qu'il y avait à manger se trouvait réparti sur toutes les tables. Il régnait une grande luminosité, par d'immenses baies vitrées tout autour de la maison, et c'est cela qui différait de cet étrange mélange des deux maisons, celle du Nord et celle du Sud...

Et l'animation qui régnait ce soir là, donnait en même temps une impression de calme, de paix intérieure tout au fond de soi, et il semblait que le temps dans ses heures et même dans ses minutes, ainsi que les instants vécus... Ne pouvaient être perçus qu'en une dimension inconnue jusque là...

Etre anarchiste...

Il y a dans l'anarchie, dans la pensée anarchiste, dans l'idée même de l'anarchie... Une forme d'intelligence, de sensibilité, de "vision du monde" à laquelle est associée, lorsqu'il y a engagement et action, une manière d'être et de vivre, d'agir, de communiquer, de mourir même... Une forme d'intelligence, dis-je, qui n'est pas -ou n'est plus - "l'intelligence du monde", et qui s'oppose à l'intelligence du monde, voire à la civilisation tout entière... Mais cette "forme d'intelligence" ne me semble pas actuellement, être le "propre de l'homme" ( de l'homme se prétendant anarchiste)... Peut-être parcequ'il manque encore à cette forme d'intelligence, l'essentiel de l'intelligence : une vraie, profonde, lucide, réfléchie et agissante dimension d'humanité...

D'ailleurs, je puis en dire autant de "l'esprit révolutionnaire" (et de l'idée de révolution... Car les révolutionnaires de quelque trempe qu'ils soient, et les révolutions quelque changement qu'elles apportent en matière de dispositions et de vie nouvelles... Peuvent effectivement se révéler d'une grande intelligence, et même durer dans le temps... Mais cela ressemble à un magnifique ciel d'un bleu qui a fini par faire pâlir les bleus des jours d'avant pour autant que ces jours d'avant aient pu déjà voir une fois le ciel tout bleu... Un magnifique ciel peut-être encore tout aussi incertain au delà de ses lointains...

... L'anarchiste n'aime pas le monde tel qu'il le voit et le subit... Alors il se dresse contre l'intelligence du monde ; contre la bêtise aussi, qu'il y a dans l'intelligence du monde... Mais rares, très rares sont les anarchistes qui pardonnent au monde d'être ce qu'il est...

Il y a comme un immense chagrin à voir le monde tel qu'il est, si sombre et si grillagé, si constellé de points lumineux qui brûlent les yeux ou si allumé de feux aux flammes de sang... Un immense chagrin à surmonter cependant...

Etre anarchiste n'est peut-être "pas encore de ce monde" même s'il y a des anarchistes dans le monde.

Cela n'a rien à voir avec " le nouveau ciel et la nouvelle Terre" des Chrétiens ou des Musulmans. Ni avec "le meilleur des mondes possibles" de Voltaire... Ou même la pensée anarchiste sinon la pensée elle-même...

 

 

Une force naturelle... Et sans doute la plus juste

 

Il y a cette sorte de « machine » qui marche à la fois toute seule par sa force naturelle et qui en même temps est actionnée par d'innombrables « ouvriers » qui, pensant la faire tourner, n'ont pas à l'esprit qu'elle tourne toute seule... Cette sorte de « machine » c'est L'ALEATOIRE...

Et de l'aléatoire surgit ce qui va être découvert et communiqué...

Mais la découverte, qui à l'origine est le résultat d'une recherche effectuée par une ou des personnes, une recherche qui n'était pas particulièrement ciblée ou orientée dans telle ou telle direction... peut tout aussi bien ne jamais être faite... Ou passer inaperçue parce qu'incluse comme un brin de paille ordinaire dans une meule de foin, un brin de paille dont on ne discerne pas la nuance de couleur particulière...

C'est cela, l'aléatoire...

Mais je dis que cela fonctionne comme une sorte de « machine » d'une « intelligence » et d'une complexité qui nous échappent – ou que nous maîtrisons mal ou encore, que nous forçons à marcher dans un sens déterminé...

C'est la force naturelle qui décide, intervient, alimente, pourvoie... Ou ne révèle pas, ne choisit pas, quoique nous fassions, quoique nous espérions...

Et il y a cette autre « machine » qui est celle que les humains font tourner – en général et si ce n'est toujours- dans le même sens, le sens qui sied le mieux à ce que les humains espèrent en fonction de leurs réalisations, et aussi de leurs rêves... Cette « machine » là est sensée pallier à l'aléatoire qui lui, n'aurait aucune justice...

Or il se trouve que, de l'aléatoire, vient la plus « juste » de toutes les justices... En particulier lorsque l'on sème tout au long du chemin qui est celui de l'aléatoire, tant et tant de petits cailloux blancs et bleus... De la même manière qu'un promeneur n'ayant pas de préférence pour tel ou tel refuge, s'est mis dans l'idée de « jouer un tour » à l'aléatoire...

Les « petits cailloux », ne finissent-ils pas par faire un chemin qui, du chemin de l'aléatoire, aura quelque « chance » un jour prochain, de surgir aux regards ?

 

                                                 LES  AILES  QUI  VEULENT  ALLER  DANS  LES  ETOILES

Toutes ces ailes qui te font voler aussi près ou aussi loin de tant de regards dont la plupart n'ont vu de ces ailes qu'un fil de lumière ou qu'une ombre suspendue... Ou ne les ont tout simplement pas vues... Sont innombrables.

Et à tant et tant voler et se multiplier et s'étendre aussi près ou aussi loin de tant et tant de regards, toutes ces ailes ont peut-être fini par voler de tout le vol dont elles ont voulu voler dans le temps de l'éclair de leur passage...

Et il n'en est pas une, pas une seule, de ces ailes, qui ne veuille aller dans les étoiles...

Mais elles sont si nombreuses, ces ailes ; que cela est comme un grand ciel immobile et tout blanc où plus rien ne vole...

 

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