Après la traversée, livre 3

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     La rencontre de Tayguète et d'Eridan lors de la célébration du Tricentenaire de la Révolution Culturelle vers la fin de l'été 634-ER-4. La suite du voyage d'Eridan, Abel et Vilica, L'étrange destin d'Irkou, et pour finir, une séparation qui n'en est pas vraiment une... Tels sont les épisodes de ce 3ème livre du Pays des Guignols Gris.

     Texte intégral : http://www.e-monsite.com/yugcib/docs/apres-la-traversee.pdf

Et sur www.alexandrie.org :

http://alexandrie.online.fr/oeuvres/oeuvre177/gs-apres_la_traversee.pdf

 

 

 

 

UN  EXTRAIT  :

                                                           La  rencontre

 

            Le 17-9-636-ER-4 Décadi, vers huit heures du matin, Tayguète était prête à partir, ses talons fins claquaient délicatement sur le carrelage, dans l'entrée de la grande maison familiale.

Son jeune frère, Alcyon, l' apercevant, s' exclama :

-- Je ne t'ai jamais vu si belle, si chic, si détendue ! A mon avis, tu dois t' attendre à une rencontre à Enolabay !

La jeune fille était vêtue d'une jupe noire, d’ un chemisier blanc à fines rayures verticales, espacées, et, autour de son cou, elle portait une écharpe de soie légère, nouée comme une cravate, d'un rouge vif.

Son visage épanoui, aux lignes délicates, au teint naturel, entouré par ses beaux cheveux noirs, ignorait ostensiblement toute forme de maquillage. Tayguète détestait ces poudres, ces fards, et toutes ces crèmes qui finissaient bien, à la longue, par dessécher la peau, et, selon elle, n' ajoutaient rien de plus. Elle disait :

-- Le visage, c'est la fenêtre de l' âme, à quoi sert d' être beau si le meilleur et le plus vrai de soi-même ne s'expriment pas avec bonheur, si le coeur n' est point à la fête ? Le visage ne se fait pas avec tout ce dont on peut l'enduire pour qu'il paraisse plus attirant : il se fait essentiellement de l'intérieur, avec tout ce qui se passe dans l'esprit et dans le coeur...

Presque chaque jour, Tayguète entretenait avec soin ses cheveux noirs : elle les lavait, les peignait, les brossait, les assouplissait, utilisant un savon fin aux algues. Secrètement, elle était fière de ses cheveux noirs, toujours bien coupés, si doux au toucher, en partie séparés au dessus de son front par une raie sur la gauche, laissant apparaître son cou et sa nuque éclatants de blancheur.

            Sans se hâter, par la rue de l' Est, puis, vers le quartier Nord de la petite ville, après avoir contourné l' obélisque de la place de la Révolution, elle se rendit à la gare, prit un billet aller-retour pour Enolabay, et attendit sur le quai.

Une soixantaine de kilomètres à peine séparait Atarakbay, la petite ville au bord de l' océan d' Enolabay,  située, elle aussi, sur la côte, le long d'une immense baie, bâtie en terrasses, escaladant le flanc des collines environnantes.

Avec le turbotrain qui reliait toutes les villes du littoral Neurélabien depuis Tankara, vingt minutes suffisaient à Tayguète pour rejoindre les gratte-ciel de verre et de métal, le labyrinthe urbain aux larges avenues se coupant à angle droit.

A Enolabay, le principal centre économique et financier de toute la planète, on ne chômait pas : c'était ' la vie-très-vite ', régulièrement ponctuée de loisirs organisés, de manifestations culturelles, de stages d'entraînement intensif aux nouvelles technologies et à l'évolution des stratégies commerciales, de repas pris  en équipes ou en famille à la Cantine Populaire, de ' Décadis-promenade ' depuis la jetée du port principal jusqu' aux abris anti-nucléaires délabrés datant, disait-on, d'un million d' années avant ER-4.

            Ce Décadi, le 17, justement, c'était le premier jour de la fête du Tricentenaire de la Révolution Culturelle. Au stade Magellan, devait se dérouler, à partir de neuf heures du matin toutes les manifestations de la Grand' Messe Populaire du Souvenir. De brillants discours y seraient prononcés, des dizaines d' orateurs enthousiasmés s'exprimeraient depuis les tribunes, les rythmes endiablés des musiques d' ambiance projetteraient les gens sur une scène du monde devenue comme par magie un paradis tombé du ciel.

Après les discours, les ovations, les hurlements de la foule, les embrassades furieuses, les ondulations d'un délire universel jailli de plusieurs centaines de milliers de gorges, ce serait, comme prévu, à la Cantine Populaire, sur le champ de foire de la Porte de Bérénice, le plus gigantesque banquet de toute l' histoire de la planète, puisque même au plus fort de la Révolution Culturelle, le neuvième mois de l'année 336, jamais autant de monde n' avait été réuni pour un festin populaire, à Enolabay ou ailleurs.

' Oui ', pensait Tayguète, ' Maman avait raison, quinze guichets pour la distribution des tickets, ce ne serait pas de trop ! Quelle bousculade en perspective ! '

            Dans le turbotrain qui venait de Tankara, Tayguète se fraya à grand' peine un passage au milieu du couloir central, où elle demeura debout, serrée entre un gros type ventripotent qui sentait le fromage avancé, et une dame âgée tout de noir vêtue arborant un fessier plantureux. Dans l'odeur aigre de la transpiration, au beau milieu de tous ces gens ballottés pêle-mêle, l'on redevenait un animal humain, parfaitement anonyme. Pas une seule personne n'avait les cheveux noirs, comme Tayguète, et, d'un bout à l' autre de la rame bondée du tubotrain, les boucles, les épis, les chignons, les frisettes se succédaient en une houle grise et mouvante. Pétrie et froissée, Tayguète ressemblait à une petite fleur égarée dans un grand champ de dos et de poitrines, avec son écharpe rouge nouée autour de son cou, son visage momentanément stabilisé en un tout petit univers réduit aux dimensions d'un mouchoir de poche. Des visages quasars, à seulement dix ou vingt têtes de la sienne, lui souriaient timidement de leurs yeux bleus, verts ou noirs, engageant ainsi une conversation interstellaire de train de province, en syllabes de silence... Echange d'ondes invisibles et de regards hiéroglyphes étrangement habités de rêves et de messages.

 

 

 

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