La maison de retraite

Fin octobre et sa pluie de feuilles mortes dans le parc de la maison de retraite

Désastre de gâteau à la crème en effondrement dans une assiette à dessert après le repas de midi

Fauteuils roulants repliés et rangés dans le fond du grand salon contre le mur du couloir

Filles de salle en tablier rayé épongeant les tables et balayant les reliefs du repas dominical

Somnolence bruyante de ronflements et de sifflements de poitrines

Affaissements de silhouettes décharnées ou débordantes de rondeurs dans le grand salon tout inondé de soleil d’automne

Dehors près de la grande porte vitrée de l’entrée dont les battants se referment toujours si lourdement

Un petit pépère sec et tremblotant fume à la sauvette sa cigarette

Pressant le bout jauni entre deux doigts aux ongles noirs

Un immense après midi d’automne tout doré de soleil déclinant

S’étire jusqu’à la cloche du soir dont le son rappelle celui de l’annonce de l’arrivée du train en gare

Dames et demoiselles filles ou petites filles des pensionnaires

Parce que c’est dimanche après midi

Sont venues puis reparties les unes très bien habillées en tailleur ou robe chic

Ont offert leur bras au vieux papa agité d’une frénétique danse de Saint Guy

Les autres en tenue plus sportive car si l’on est venu ce dimanche

C’est aussi pour une ballade dans la forêt voisine avant d’aller dire bonjour à la mémé

Les feuilles qui tombent avant d’être complètement jaunies

Ont une odeur délicate

Et quand elles frissonnent très doucement sur le sol dans la lumière tamisée d’un

très bel après-midi automnal

L’élégance de certaines silhouettes et les sourires sur les visages

Font un décor de dernier acte

Tels des traits d’aquarelle sur une toile représentant des personnages fragiles et tremblants d’émotion

Petites anecdotes d’une vie quotidienne

Préoccupations aussi personnelles que diverses

Des uns et des autres

Se rejoignent dans des souvenirs anciens et des évocations de visages disparus

Dans des attentes renouvelées

Dans des lendemains dont on ne sait ce dont ils seront faits

Dans de petits et gros bobos de cœur et de corps

De nouvelles années aux couleurs d’octobre puis de novembre

Feront suite aux printemps fleuris et aux étés flamboyants des belles visiteuses de dimanche après midi

Et le givre de décembre puis la glace de janvier auront brûlé de noir les fleurs de la Toussaint jetées dans le pourrissoir du cimetière communal

 

Imparable vieillesse

Peux-tu m’épargner le désastre du fond de gâteau à la crème coulant sur le bord de l’assiette et salissant la nappe de papier

La terrible souffrance d’un soubresaut d’émerveillement cruellement gâché par le frottement d’une culotte mouillée

 

 

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