Les chevaux du soleil, de Jules Roy

      Jules Roy, qui fut le grand ami d'Albert Camus, est l'un de mes écrivains auteurs préférés dont j'ai lu "Les chevaux du Soleil" (une saga de l'Algérie de 1830 à 1962 en mille pages), "Mémoires barbares" (guerre 39/45, Indochine, Algérie) ainsi que quelques autres ouvrages.

Plus encore qu'un écrivain, un homme de littérature, il est aussi en tant qu'écrivain et romancier, en même temps, dans chacun de ses ouvrages, un poète... Le poète que l'on sent par sa manière d'écrire... C'est "riche", immensément riche, son style, son langage, les images qu'il emploie, à tel point d'ailleurs que des pages entières de ses livres sont comme un immense tableau de peinture qui "fatiguerait presque le regard" tant il exigerait d'attention, de concentration, de ce regard...

Jules Roy n'est pas le fils vrai du gendarme Roy mais d'un instituteur (qui s'appelle Dematons dans "les chevaux du soleil")...

Voici l'histoire :

Dematons, instituteur à la fin du 19 ème siècle, vit dans l'Aube et il est marié à Delphine avec laquelle il reste 9 ans et dont il a un fils Robert.

Cette Delphine est une femme sans magie, qui s'empâte, dans une vie "ron-ron" avec son mari instituteur dans un petit bled de l'Aube, qui est très bonne cuisinière, très femme d'intérieur et qui passe la moitié de son temps à "faire des petits plats"... ça dure 9 ans l'histoire là, jusqu'au jour où Delphine décide de prendre une bonne à tout faire qui s'appelle Eugénie et qui est "hyper canon" comme jeune femme. Et l'instituteur "en pince fort" pour cette Eugénie qu'il trouve si différente de Delphine. Et qui elle, ne cuisine pas, se fout du ménage et est dépensière mais "magique"... Dematons divorce, se remarie avec Eugénie mais Eugénie le déçoit, et sur un coup de tête, il décide de divorcer une 2 ème fois, et de partir en Algérie en 1901.

En Algérie il est nommé dans un village de montagne, perdu, au milieu des Arabes. Et puis un jour en se rendant à Alger chez des amis puis à Sidi Moussa avec ses amis qui veulent lui faire visiter une ferme dans la plaine de la Mitidja, il rencontre Mathilde une des filles Paris mariée à un gendarme.

Mathilde n'est pas "spécialement heureuse avec son gendarme de mari", elle est une femme très belle, très rêveuse, très romantique (mais qui sait néanmoins se servir d'un fusil et qui a du réalisme et du tempérament).

S'établit une liaison amoureuse et passionnée entre Mathilde et l'instituteur Dematons. Le gendarme Roy "n'y voit que du feu" ou il "accepte en faisant comme s'il ne savait pas". En 1907 Mathilde est enceinte de celui qui sera l'écrivain Jules Roy, et le 22 octobre de cette année 1907 naît donc Jules Roy ... qui n'est pas le fils du gendarme mais qui en porte le nom.

Le gendarme meurt peu de temps après...

Bon, dans "les chevaux du soleil", les noms (du gendarme, de l'enfant de Dematons avec Mathilde) ont été changés... Et d'ailleurs si le contexte historique est vrai, bien réel (pas "arrangé du tout ni dans un sens ni dans un autre"), de 1830 à 1962... Les personnages eux, dont des personnages de roman (ou réels pour au moins quelques uns mais dont les noms ont été changés)...

Ce que j'en dis, de cette histoire entre l'instituteur et Mathilde la mère de l'écrivain ?

J'en dis que... quand un homme ne fait pas ce qu'il faut et n'est pas ce qu'il doit être pour la femme qu'il a, il ne faut pas qu'il s'attende de la part de sa femme à des miracles d'abnégation, de fidélité, de dévouement, d'amour, etc. ! Sans doute ce gendarme était-il un homme "sans magie", "un peu primaire sur les bords", un peu "ron ron", et ça, pour Mathilde "ça devait pas être trop le pied" avec un type comme ça !

Je suis "idéologiquement parlant" pour la fidélité, contre le cocufiage... MAIS... il faut reconnaître qu'il y a des cocufiages qui se méritent, des "cons" (et aussi des connes) qui méritent d'être bafoués !

Cette immense saga de l'Algérie de 1830 à 1962 m'a d'autant plus passionnée que j'ai vécu une partie de ma jeunesse avec mes parents en Algérie de 1959 à 1962, précisément à Blida, au pied de l'Atlas Tellien avec Chréa en haut de la crête à 1800 m d'altitude, la vue sur la Mitidja, Beni Mered et Boufarik vers Alger, les collines du Sahel au loin avec les faubourgs d'Alger, et la mer méditérranée en petit triangle dans une échancrure du Sahel, et les monts de Cherchell tout à gauche à l'opposé d'Alger, là où se couche le soleil en mai, juin et juillet.

Le couscous, la mouna, l'anisette, les fêtes qu'on faisait entre voisins, amis, connaissances, famille, l'accent "pied noir", et tant et tant de ces petites choses qui faisaient la magie de la vie, qui rendait la vie chaque jour totalement "inordinaire" ! J'ai trouvé tout ça, que j'ai connu entre 1959 et 1962, en lisant ce livre "les chevaux du soleil"...

 

J'avais déjà une première fois, lu ce livre en 2008, et je le relis cet été en ce mois de juillet en 2016... Avec autant de plaisir et d'intérêt, d'autant plus que l'histoire de l'Algérie je la connais bien et que l'auteur retrace avec réalisme et vérité cette histoire de 1830 à 1962...

Notamment l'épisode de la révolte et du soulèvement Kabyle en 1871 (qui préfigurait ce qui devait se passer après la seconde guerre mondiale, en 1945 à Sétif, et ensuite en 1954)... On peut dire "sans pour autant encenser Napoléon III et le Second Empire Français", que la vision de Napoléon III pour "une nation Arabe aux côtés de la France" avec des droits pour tous, la civilisation, la société, la considération etc. ... Etait une vision à laquelle personnellement je "souscrivais" on va dire... Mais à l'arrivée de cette troisième république bourgeoise et colonisatrice, dédaigneuse des populations indigènes, et qui se prévalait d'une "mission", et qui s'est montrée si injuste, si dure, et qui ne voyait que l'enrichissement, l'exploitation, l'enracinement des colons grands propriétaires, alors ce n'a plus été pareil que du temps du second empire (que d'ailleurs les colons "ne pouvaient pas piffrer, à part quelques généraux idéalistes et leurs fidèles)...

 

Bon, y'aurait pas eu l'expédition Française à Alger en juin 1830, sans doute que les Britanniques auraient "mis leur nez là dedans" ... C'est vrai qu'il y en avait marre de ces Turcs maîtres de la méditerranée côté Afrique, de toute cette piraterie... Mais les Anglais auraient-ils fait "mieux" (ou pire) que nous ?

Ah, l'histoire, l'histoire! ...

 

Ismaël Urbain, un ancien haut fonctionnaire du Second Empire, avait inspiré à Napoléon III, l'idée d'un royaume arabe avec une association entre les Français et les indigènes ("indigènes" dans le sens de "habitants et natifs d'un pays")... Selon Ismaël Urbain, la France faisait fausse route, la sécurité et la prospérité ne pouvait dépendre que de l'adhésion morale des musulmans, et les Français d'Algérie exerçaient sans partage des droits de souveraineté mais ne donnaient rien en échange au peuple colonisé, même pas l'instruction.

Ismaël Urbain avait été le correspondant du Journal des débats, il avait écrit deux ouvrages : l'Algérie pour les Algériens, et l'Algérie Française, dans lesquels il proposait l'égalité pour tous, l'agriculture dans les mains des fellahs (paysans Arabes), et l'industrie gérée par les Européens.

En Terre Algérienne occupée et aux mains des Français auxquels les gouvernements de 1830 à 1850 avaient attribué des terres, des propriétés ; pendant le Second Empire honni par les colons, cette idée d'un royaume Arabe avec une association des cultures et des pouvoirs, était considée comme impie, absurde, farfelue, et elle était combattue : les riches et puissants colons qui tenaient salons de réception à Alger, tout le "gratin" de cette société de propriétaires, de grands marchands qui envoyaient en France le produit de leurs cultures fruitières, maraîchères, céréalières, viticoles, et en tiraient déjà pour eux-mêmes les bénéfices, et dont la "bonne société" en France, profitait... N'imaginaient pas un seul instant que les "indigènes" (dans le sens que eux ils donnaient à ce terme d'indigène) puissent être des Humains ! Ils les considéraient comme du bétail, des bêtes de somme !

 

... L'on va me dire, certains vont me dire... que, en 1830, ces terres marécageuses, incultes, humides, pourries de moustiques, de la plaine de la Mitidja, n'avaient jamais été mises en valeur, nettoyées, cultivées et entretenues et qu'elles étaient demeurées depuis des siècles à l'état sauvage... Et que ce sont les colons venus de France s'installer dans la Mitidja, qui ont mis ces terres en valeur au prix d'un labeur incessant en payant le prix fort ! Certes, certes...

Les "bons arguments" -comme c'est drôle- sont toujours du même côté : du côté du plus fort, du mieux démerdard, du plus culotté, du "qui réussit dans la vie", et dont la morale, la bienpensance fait force de loi ! Autrement dit "les autres y'z'avaient qu'à en faire autant, ce sont des feignants, des moins que rien, des abrutis, des incultes, des barbares!" ... Et voilà comment on fait tourner le monde !

 

 

 

Jules Roy

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