souffle rauque

  • Le râle

    C'est un râle...

    Un râle, rien qu'un râle, comme suspendu dans l'air ambiant tel un gros coléoptère invisible dont on entendrait le vol lourd, les ailes se froisser et craquer longuement...

    Et le râle se déplace dans une chambre où il n'y a personne.

    Le râle va et vient entre la fenêtre ouverte sur la rue et la porte donnant sur le couloir.

    Un râle continu, indécent, incongru, presque obscène ; un râle éclaté, libéré, un souffle rauque entrecoupé de sanglots et de cris de plaisir, de cris d'attente...

    Le râle fait le tour de la chambre, s'arrête, repart, s'élance, hurle, se heurte aux volets qui battent doucement... Il semble même "souffrir" -si l'on peut dire- ce râle...

    Et il écarte les rideaux, il cherche un regard, des lèvres, une main, des cheveux, un sourire ; son vol s'allégeant il se calme, puis il se met à murmurer, à chuchoter...

    Il s'endort, sursaute, se relève, enfle de nouveau, aspire les odeurs de la chambre, des senteurs de femme, il entend des mots qui n'ont pas été prononcés, il sent une absence qui se fait mouvement, silhouette...

    Le râle n'en finit pas de se répandre dans l'air ambiant, il se jette sur une robe de bal étendue près d'un oreiller défoncé ; il crie, il halète dans les plis d'une chemise de nuit bleu tendre, il hoquette sur une petite écharpe de soie, il cherche des jambes nues sous une jupe fendue attachée par deux épingles sur un cintre...

    Le plancher craque, une coulée blanche et sèche court sur la glace de l'armoire ; des taches sur la moquette et sur le drap du lit défait, comme de petits paysages mis en cartes, passent sous le râle hoquetant et frôlant ces taches...

    Des gouttes de pluie projetées par le vent, éclatent doucement sur la vitre d'une fenêtre.

    L'après-midi avec les bruits de la rue, l'orage qui gronde, la chaleur de la ville...

    Et toute cette attente qui s'étire dans le va-et-vient incessant du râle, du râle toujours présent dans la chambre...

    Et le râle tout à coup s'élance par la fenêtre, tombe sur le pavé, n'éclaboussant personne.

    Et le râle aussitôt se relève, remonte par l'escalier jusqu'au premier étage, s'arrête comme pour réfléchir ; puis s'enferme dans l'ascenseur, et l'ascenseur le conduit sur la terrasse de l'immeuble ; de là il redescend, se perd dans la rue, suffoque, soupire, se jette sur des visages de femmes...

    Et le râle, perdu dans la foule, dans le mouvement de la rue, enfin se calme et ne hoquette plus...

    Le râle devenu silencieux, pudique, étouffé, étranglé ; ce râle qui voulait mourir sur un broshing, sur une nuque, sur des épaules nues, faire glisser des gouttes de pluie le long d'un cou fragile...

    Rencontre sous un abri de bus, l'horrible pet, l'horrible nuage nauséabond d'un gros homme chauve en combinaison bleue.