Les nouvelles dominations

... "Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse." [Albert Camus, dans son discours de décembre 1957 à Stockholm, pour le Prix Nobel de littérature ]

 

... Albert Camus fut, en tant qu'écrivain et journaliste... Tout comme d'ailleurs François Mauriac écrivain et journaliste qui se vit attribuer le Prix Nobel de littérature en 1952 ; un témoin de son temps.

Et quel témoin de son temps, à toute époque, à un moment ou un autre de sa vie -pour ne pas dire quasiment chaque jour de sa vie- et tout au long de son oeuvre, de toute sa pensée et de tous ses agissements et engagements... Ne s'est pas interrogé sur l'état du monde, de la société, sur les événements dont il a été l'observateur ; ne s'est pas demandé ce que deviendrait le monde au delà de la vie qu'il aura vécue, pensant à ces années qu'il ne verrait pas et en lesquelles il ne pourra plus témoigner ?

Le monde, à dire vrai, ne s'est jamais "refait" et personne, aucun homme, aucune femme ici ou ailleurs, ait-il été cet homme, ait-elle été, cette femme, un grand personnage (politique, écrivain) n'a jamais "refait le monde"...

Le monde ne se "refait" pas, il se fait...

Il se fait et c'est nous qui le faisons, qui en sommes, chacun de nous, d'une manière ou d'une autre, les acteurs ; dans le présent même qui est le nôtre et qui fera le monde de demain... Avec -en partie- ce que nous savons de ce qui nous a précédé...

Mais le demain est un demain qui n'est et ne sera jamais que celui des deux ou trois, voire au mieux quatre générations suivantes... Car au delà, ce qu'aujourd'hui nous faisons de "bien ou de mal" ou d'utile ou de nuisible pour nos semblables et pour le monde, ce qu'aujourd'hui quelques uns d'entre nous de deux ou trois générations coexistantes font pour empêcher que le monde ne se défasse... Subira de nouvelles dominations qui s'ajouteront aux dominations existantes les plus récentes comme les plus anciennes...

Il y a toujours eu des transformations en cours dans l'Histoire... La première ayant sans doute été le passage de la civilisation de la pierre taillée à celle du fer , puis le passage d'une économie fourragère et nomade à une économie d'agriculture et de sédentarisation...

Depuis la fin du 20ème siècle de l'ère que nous appellons "ère chrétienne" (en référence à l'époque où était né et avait vécu Jésus de Nazareth au temps de Tibère empereur Romain), la transformation en cours est celle du Néolibéralisme (une forme dérivée du libéralisme d'origine), de la révolution numérique, de l'intelligence artificielle, des nanotechnologies, du posthumanisme... Et c'est dans cette transformation là, actuelle, que se font, que s'amplifient et que semblent se pérenniser (se "bétonner") -mais pour combien de temps ?- les nouvelles dominations qui s'ajoutent aux dominations existantes et dont certaines de ces dominations sont aussi anciennes que le monde...

Ces nouvelles dominations se fondent sur une logique de dématérialisation de notre rapport au monde, en ce sens que la vie ( le monde du Vivant dans son ensemble, de la bactérie, du plus petit insecte , des plantes, jusqu'à l'être humain ) n'est plus acceptée dans son principe naturel d'évolution, jusqu'à être considérée comme une sorte d'infirmité à laquelle il faut remédier (je pense là au mythe de Prométhée, ou à l'Homme voulant faire mieux que Dieu)...

La réflexion d'Albert Camus sur la tâche qui attendait déjà la génération d'Albert Camus (celle en gros des années 1930 à 1980, en fait deux ou trois générations coexistantes), la tâche consistant à empêcher que le monde ne se défasse... Est d'autant plus actuelle (et sensible) aujourd'hui en cette première moitié du 21ème siècle. Elle est aussi, je le crois, plus difficile, plus incertaine...

Témoigner, dénoncer, s'opposer, sans pour autant s'enfermer ou se barricader à l'intérieur d'une forteresse assiégée où l'on continuerait à sacrifier à des dieux anciens tout autant "ogres" que les dieux nouveaux ; sans pour autant au contraire se rallier sans réserve et sans discernement et seulement pour ce que l'on peut en tirer de confortable dans l'immédiat, à la nouvelle "citadelle Prométhéenne" du monde...

 

 

dominations actuelles

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