La baie d'Alger

      C'est avec une certaine émotion que j'ai regardé mercredi 13 juin 2012 sur France 2 "la baie d'Alger", film réalisé par Merzak Allouache, avec Catherine Jacob dans le rôle de Zoé, Solal Forte dans le rôle de Louis à 15 ans (l'écrivain Louis Gardel)...

Sans doute est-ce là, à mon sens, l'un des meilleurs films sur l'Algérie de cette époque (années 50)... Cette Algérie que j'ai connue avec le regard qui était le mien à l'époque, le regard d'un gosse de 11, 12, 13 et 14 ans entre le 12 juin 1959 et le 22 mai 1962... Le gosse que j'ai été là bas, qui avait " de grandes discussions" avec le copain Arabe de sa classe (nous nous disputions la place de premier en compostion française), et qui parlait de la vie et des évènements avec sa petite copine Mireille, la fille des voisins au même étage de son immeuble...

Cette époque, oui, éternellement présente dans mon souvenir, dans ma mémoire...

C'est bien ça, le film : le soleil, la famille, l'amitié, le lycée, les copains, et le drame, la certitude que le monde était en train de changer... d'une drôle de façon...

Et puis, j'ai aimé la séquence avec Albert Camus, dans le film... Albert Camus qui est pour moi "le plus grand écrivain d'Afrique du Nord" (et l'un des plus grands écrivains du 20 ème siècle)...

En 2012 "ça fait drôle" (avec une boule au coeur et aux tripes) de revoir "ces années là" et de retrouver ce regard que j'avais alors, empreint de gravité et d'interrogation...

...Beaucoup de gens en France, qui n'ont jamais connu ni vécu en Algérie avant 1962, n'ont que la vision de "ce que l'on leur a fait voir ou voulu faire voir" : les uns, "de gauche et de sensibilité communiste apparentée" pensaient (dans une certaine mesure à juste titre d'ailleurs) "que la France n'avait rien à foutre en Algérie depuis 1830... Et les autres (en majorité d'ailleurs à l'époque) pensaient que "l'Algérie c'était la France" (et devait le rester)...

Ce que je retiens de l'histoire de l'Algérie du 14 juin 1830 au 3 juillet 1962, ce sont surtout ces deux évènements déterminants :

La défaite d'Abd El Kader en mai 1837, après une résistance de plusieurs années à l'armée française... (en fait ce fut un armistice qui fut conclu entre Bugeaud et Abd El Kader)...

Et la terrifiante répression de Sétif en 1945 : pour quelques "pieds noirs" assassinés (il faut voir aussi comment les révoltés en étaient arrivés à tuer)... des milliers de gens massacrés, des villages brûlés, une boucherie organisée, une horreur...

Dans le film il y a une scène "qui en dit long" (et dans laquelle j'ai retrouvé l'adolescent que j'étais alors) : le jeune Louis, 15 ans, qui discute avec une fille sous un parasol sur la plage de Sidi Ferruch... la fille dit "je suis anticolonialiste, je déteste l'Algérie"... puis "vous n'avez pas lu Jaurès, il vous convaincrait".... et surtout "de quel côté êtes vous"... Et Louis, ne répond pas... il ne sait pas, à vrai dire... Louis était comme moi : il avait ses copains dont un vieil Arabe avec lequel il allait en bateau à la pêche, et sa famille... (je pensais aussi à mon copain Arabe du Lycée, à mes petites copines, à mes parents, à nos amis de là bas)...

Et comme le grand écrivain Albert Camus, j'étais déchiré entre toutes ces visions partisanes, d'une violence extrême... Je me sentais "dépassé" par tous ces concerts de klaxon "Algérie Française" ou "Algérie Musulmane" (5 coups d'un côté, 6 coups de l'autre), par ces attentats, ces règlements de compte, cette violence, ces massacres, ces villages rasés ou brûlés dans les djebells, ces tortures, ces affrontements... cette guerre "franco-française" aussi (qui fit quelques morts d'ailleurs à Alger en 1961 et en 1962)...

Et puis, que ce soit dans l'armée française, parmi les "pieds noirs", les "pathos" (les gens de France venus pour un temps en Algérie), les Algériens eux-mêmes (les Arabes), dans toutes les classes de la société (de l'illettré au grand intellectuel ayant fait des études)... Partout, oui, partout, il y avait des gens, des hommes et des femmes, "d'une autre trempe" que celle des gens que l'on rencontre de nos jours, "autre chose" que des sensibiltés exacerbées, autre chose que du parti pris dans un sens ou dans un autre sens, en vérité "du coeur et des tripes", une "dimension d'humanité", de vraies passions, un art de vivre et de communiquer ensemble... Et puis (non négligeable) le soleil, le ciel, les paysages, la méditérranée... La plage de Zéralda (plus populaire et moins guindée que la plage de Sidi Ferruch)...

C'est tout cela, oui, que j'ai tant pleuré, à l'âge de 14 ans, le mardi 22 mai 1962 sur le quai du port de Marseille... Tout cela que je savais ne jamais plus retrouver nulle part ailleurs...

Et le film retraçait bien cette atmosphère de l'époque...

... L'on pourrait me rétorquer - à plus ou moins juste titre d'ailleurs, et selon une sensibilité, une vision de la société, avec une argumentation bonne ou mauvaise peu importe- que ces jeunes que l'on voit dans le film sont quasiment tous des jeunes Français "pieds noirs" ou "pathos" de milieu bourgeois et donc, des privilégiés (qu'ils étaient là bas, de l'autre côté de la Méditérranée sous le soleil et menant une vie somme toute agréable en dépit des évènements)... que parmi ces jeunes là il y en eut qui en 1956, périrent dans un attentat à la bombe à "l'automatic", un bar chic et branché d'Européens friqués...

... Mais je le dis avec une certaine gravité... Ces jeunes là, tout comme les "fellahs" du Djebell, tout comme tous ces jeunes Arabes de la Kasbah, ces jeunes là, oui, "pleins aux as" et guinchant dans les boîtes à la mode, tout comme les fellahs du Djebell ou les hommes de peine trimant dans les exploitations agricoles des colons... avant d'être ce qu'ils étaient c'est à dire des riches ou des pauvres... étaient avant tout... des êtres humains, des jeunes hommes et des jeunes femmes... Même si, effectivement les uns avaient plus de chances que les autres...

Et il en est exactement de même dans le monde où l'on vit aujourd'hui... que l'on soit un jeune de Neuilly sur Seine, un étudiant en Sciences-Po, un SDF, ou que l'on s'appelle Mohammed Ben Ali, Tartempion, enfin n'importe qui... Avant d'être ce que nous sommes devenus dans la vie, nous sommes tous des êtres humains, des hommes, des femmes... Même si les uns ont plus de chance et plus de visibilité que les autres... même si pour les uns c'est plus facile que pour les autres...

Ce que j'appelle "dimension d'humanité" est "au dessus" de tout cela, de toutes ces valeurs aux quelles on croit - parfois si fort et avec tant de passion voire de fanatisme- ... Et c'est ce que je dis là, que j'ai ressenti en voyant le film...

En ce sens, je rejoins la pensée d'Albert Camus, quand il parle comme jamais personne avant lui n'en avait parlé, de la révolte et de la condition humaine... Car la révolte, la vraie révolte, n'a rien à voir avec toutes ces formes de violence, de dictature d'une soit-disante justice, de "pensée unique contre ceci ou contre cela", auxquelles on est habitué depuis toujours...

Et cette condition humaine c'est bien la nôtre, dans laquelle on se débat, souvent, le plus souvent, "comme on peut" depuis petit bébé jusqu'au vieillard qui va mourir...

... Au lycée Duveyrier à Blida en 1961, j'avais treize ans alors, mon copain Arabe, celui avec lequel je partageais la place de 1er en composition française, me disait : " quand l'indépendance viendra, ils vont nous foutre une république démocratique dirigée par des bandits, des assassins et des types plein aux as, et nous, on sera aussi pauvres qu'avant! "

Et c'est ce qu'ils ont fait : ils ont tout pris, se sont octroyé les meilleures places, se sont rempli les poches, et c'étaient ces anciens chefs de willayas et leurs sbires qui avaient égorgé, massacré, eux aussi, des villageois dans les djebells, des gens "pris entre deux feux" (entre l'armée française et le FLN)...

... Je ne "souscris point" - mais pas du tout alors- à cette "pensée consensuelle" et d'ailleurs "assez hypocrite", qui s'articule autour de la "repentance" et du "martyr" des uns ou des autres... D'ailleurs il faut bien oser dire une chose : les "martyrs" ont toujours "le beau rôle" même si avant d'avoir été des "martyrs", ils ont été des tortionnaires ou des assassins, ce qui fut le cas pour certains d'entre eux...

Certes, il y eut dans "notre grande, noble et belle armée française" (avec drapeau, marseillaise et compagnie, et politique sociale, et mission civilisatrice et j'en passe...) des tortionnaires, des "salauds", des assassins... Oui, c'est vrai, il y en eut... Mais il y eut AUSSI, dans les armées de libération nationale (le FLN et autres) des tortionnaires, des assassins, des bandits, des gens se foutant complètement de la démocratie, et qui eux, ont pris le pouvoir (ont été dans ceux qui ont pris le pouvoir)... Et de ceux là aujourd'hui, jamais l'on en parle...

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