L'écriture

… Pour une personne, femme ou homme, accomplissant toute sa vie durant, œuvre d’écriture, les moments les plus difficiles sont peut-être – pour certains – ceux lors desquels on se souvient de personnes disparues, que l’on a connues et aimées, et qui depuis leur disparition d’autant plus ancienne dans le temps, n’ont en conséquence pas eu connaissance de tout ce que l’on a écrit, jour après jour… Pour autant cependant que, du vivant de ces personnes que l’on a connues et aimées, ces dernières nous aient suivi, ne serait-ce qu’occasionnellement.

 

L’écriture peut-être pour qui en accomplit œuvre, comparable à un « acte d’amour » par lequel, comme pour une femme dont on rêve et que l’on désire connaître, dont on espère être aimé, l’on donne ce que l’on porte en soi depuis son enfance, que l’on croit de meilleur, de plus sincère, de plus authentique, de plus vrai, et, en somme, comme je dis « du cœur même de son réacteur » - ou du moins « assez proche du cœur de son réacteur »…

Cette « femme » en quelque sorte, toujours « idéalisée » (même avec une bonne part de réalisme) c’est en fait l’interlocuteur, l’Autre, le lecteur, celui, celle qui voit, qui lit… Et la relation qui s’établit entre la personne accomplissant œuvre d’écriture et celui ou celle qui prend connaissance de ce qui est produit, s’apparente à une relation amoureuse…

Alors, dans ces moments difficiles où l’on se souvient d’un proche, d’un ami, d’une de nos connaissances disparu ; vient la certitude que l’autre a cessé d’avoir connaissance de tout ce que l’on a exprimé depuis le jour de la disparition…

Une douloureuse certitude…

C’est ce que je ressens lorsque je pense à ma mère et à mon père, ainsi qu’à bien des personnes que j’ai connues et aimées, et qui depuis tant d’années – ou depuis hier à peine (un hier plus long qu’un jour en réalité) – n’ont plus vu, plus su, plus lu ce que j’ai continué jour après jour d’exprimer…

 

Certes il y a bien les autres, tous les autres, ceux et celles qui sont vivants, qui voient, qui ont connaissance, qui lisent… Mais tous ces autres ne remplacent pas ces interlocuteurs privilégiés que furent notamment une mère, un père, un ami, une amie très proche… Auxquels on a donné sans doute, autant que l’on l’ a pu, le meilleur et le plus vrai de soi-même… Et « un peu moins sinon pas du tout » ces « choses exprimées, moins belles » dont on se rend auteur (parfois à son « corps défendant)…

Car « ces choses moins belles » que l’on exprime, que l’on écrit, que l’on publie au vu et au su de tout le monde, procèdent d’une nature en soi dont on ne peut se défaire, imparfaite qu’elle est, et, par moments « brute de coffrage »…

Des « choses moins belles » aussi, qui sont produites dans la colère du moment, ou par défi, ou, délibéremment, pour s’autodétruire, ou par dérision, ou par provocation, ou encore – il faut le dire aussi – par absence en l’occurrence de maîtrise, de travail, de savoir dire…

Tout cela les vivants le voient, le constatent bel et bien !

 

Reste tous ceux et celles avec lesquels est survenu un jour, ce que j’appelle « une fracture relationelle » qui a interrompu définitivement un rapport d’amitié, un lien « de longue date » et qui, à la suite de la rupture, ont cessé de voir, de savoir, de suivre, de lire ce que nous avons continué de produire…

À l’égard de ceux et de celles là, ce que l’on peut ressentir est différent – ou plus exactement si je puis dire « difficile d’une autre manière » - et donc, ne peut être comparé à ce que l’on ressent pour les personnes n’étant plus vivantes qui ne peuvent plus nous lire…

 

 

 

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