Il y a dans le pardon... Un sens...

     De plus en plus au fil des ans, de mes écrits, de ma réflexion sur bien des choses, il m'arrive de penser que l'avenir, le "vrai avenir" de la relation humaine ne se trouve point dans le ressentiment, le regret, le fait de déplorer ceci/cela d'un tel, d'une telle, d'une "certaine catégorie de gens"...

Je pense de plus en plus à cette nécessité qu'il y a, à "dépasser" le ressentiment, le regret, le fait de déplorer, de faire de cette déploration et de ce ressentiment une sorte de "chant de l'incompris" ("incompris" convaincu de sa raison pensant au fond de lui que les autres n'ont eux rien compris et qu'il est le seul à comprendre)...

... Seulement voilà : l'effort à faire dans "ce sens là" est absolument considérable, me semble considérable ! J'en suis conscient !

C'est le ressentiment, le vécu dans toute sa réalité avec tout ce que ce vécu implique dans notre manière de réagir, qui alors s'impose de lui-même et qui ne plaide pas en faveur de l'effort à faire pour "dépasser"...

Certes, "pardonner", aller jusqu'au pardon... On ne peut pas... du moins "pas toujours" (notamment dans "certains cas")... Mais il y a dans le pardon, tout de même, à bien réfléchir... Un sens... Un sens qui nous échappe... Qui nous échappe parce que nous n'avons pas encore franchi ce "palier" entre l'immense plateau sur lequel nous sommes depuis le Paléolithique Supérieur, et le plateau qui lui fait suite, immédiatement suite... Le "palier" est encore très loin, et quand on regarde du côté de l'horizon là où il doit se situer, ce "palier" l'on n'aperçoit toujours... que la ligne d'horizon...

 

 

Petite anecdote (Blida, Algérie, 1961)

 

J'avais 13 ans, je demeurais avec mes parents au bâtiment R de la cité Montpensier de Blida, au 9ème et dernier étage de l'HLM, appartement 57... J'étais très copain avec Mireille, âgée de 12 ans, la fille de Monsieur et de Madame Champion, nos voisins du 58 même étage...

Un samedi après midi, il y avait eu à Boufarik, 14 km de Blida sur la route d'Alger, dans un café "branché" lieu de rencontre des Européens de Boufarik, un café très fréquenté... Un attentat terroriste du FLN : un vélo piégé bourré de dynamite de partout, le guidon, le cadre, les pneus... garé contre un poteau à proximité de la terrasse de ce café... Une quinzaine de morts et 70 blessés environ, un carnage...

Parmi les morts il y avait aussi deux ou trois lycéens arabes, du lycée Duveyrier de Blida dans lequel je me trouvais en classe de 6ème...

Le dimanche, lendemain de ce samedi de l'attentat de Boufarik, Mireille et ses parents se rendent à la messe, à l'église de Montpensier, un quartier périphérique de Blida proche de la route d'Alger...

Le curé dans son sermon, a dit ceci (C'est Mireille qui me l'a rapporté) : "Mes chers, très chers frères et soeurs, je ne vous demande pas de pardonner, je sais que vous ne le pouvez point, mais n'ajoutez pas la haine à la haine"... Parmi les gens qui se trouvaient à la messe ce dimanche matin, il y avait des endeuillés en effet...

Ce curé là, c'était "un type"... Un "monument" on va dire... Le dimanche après midi en hiver et quand il pleuvait, il ouvrait une salle de cinéma dans laquelle on voyait, tous les gosses et les jeunes du quartier, de grands films d'aventure...

La semaine d'avant cet attentat de Boufarik, en rentrant à 4h et demi comme tous les jours d'école, à pied trois kilomètres depuis le lycée Duveyrier jusqu'à Montpensier, le long d'une grande avenue bordée d'orangers je suis passé à côté d'un garage où travaillaient des mécaniciens ouvriers arabes... J'ai vu éclater dans le garage, une grenade lancée par un type... Un carnage aussi, trois morts... Je l'ai su par la suite : c'était une vengeance des caïds du FLN du coin, qui avaient décidé ce coup parce que l'un des ouvriers du garage n'avait pas voulu payer sa "cotisation" au FLN du coin...

"Mes frères et soeurs je ne vous demande pas de pardonner... " Il y avait dans cette phrase de ce curé, ce curé que je connaissais très bien moi qui pourtant n'allais pas à l'église... il y avait dans cette phrase et dans la manière dont il l'a dite, tout ce sens qui est celui auquel je pense aujourd'hui... Et que sans doute quoique très confusément, je sentais en moi à 13 ans...

J'en avais dans les jours qui suivirent, discuté avec ma copine Mireille, de cet attentat de Boufarik, et de l'explosion de la grenade dont j'avais été témoin ; j'en avais aussi discuté avec mon copain Ould Ruis du lycée Duveyrier (un très bon copain)... Et nous partagions, Mireille, mon copain et moi, le même sentiment, dans la même réflexion...

 

 

le pardon a un sens qui nous échappe

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