La chaîne du chien

Dans l'un de ses livres, “D'Ici Là”, John Berger écrit :

 

La chaîne du chien, là bas, est trop courte. Qu'on la change, qu'on l'allonge! Alors le chien pourra atteindre l'ombre, se coucher et arrêter d'aboyer. Et le silence rappellera à la femme qu'elle voulait un canari en cage dans sa cuisine. Et au chant du canari, elle abattra plus de repassage. Et les épaules du mari, dans sa chemise fraîchement repassée, lui paraîtront moins rouillées quand il ira travailler. Et en rentrant à la maison, le soir, il plaisantera parfois, comme avant, avec sa fille adolescente. Et la fille changera d'avis, elle décidera d'inviter son amoureux un soir à la maison, juste une fois. Et un autre soir, le père proposera au jeune homme d'aller avec lui à la pêche...

Qui sait, dans ce vaste monde, ce qui peut arriver? Il suffit d'allonger la chaîne.

 

... Allonger la chaîne du chien n'est-ce point illusoire?

Ce serait là en somme, rendre le préservatif de plus en plus fin, de telle sorte qu'on ne le sente plus sur la peau ; doter le préservatif d'un appendice encore plus étiré pour une joie projetée comme sans retenue...

Ce serait tout aussi bien... faire du trapèze volant en rapprochant le filet, raccourci, du sol... Ou rouler à “tombeau ouvert” sur une route de plus en plus hérissée de bosses...

La chaîne, si longue soit-elle devenue, ne nous fait jamais rejoindre ce que l'on dit être mieux... Et qui n'est que différent en réalité.

Il serait à désespérer que l'art, la littérature, la science, la poésie, la musique, l'écriture... Que toute la connaissance du monde et des êtres vivants... Ne soient que des chaînes ouvragées à sans cesse rallonger... Plutôt que ces chemins entre nous et le ciel ou la terre ou les visages ou les maisons ou les paysages...

 

  • Aucune note. Soyez le premier à attribuer une note !

Ajouter un commentaire